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nos arts, notre industrie, et sachez que ce patrimoine a encore une valeur relative qui n’est pas à dédaigner, ce n’est pas avec le secours de nos voisins les Allemands que nous l’avons acquis, c’est malgré eux et contre eux ! »

Quand on connaît la valeur de l’esprit germanique, quand on admire ses rares qualités, sa conscience, sa vigueur, son ardent désir de savoir, la hardiesse ingénue de ses tentatives, tant de labeurs, tant d’efforts, tant d’idées remuées courageusement et livrées à la discussion des hommes, on souffre de voir un tel peuple s’attirer de tels reproches. Nous ne sommes pas suspects de partialité contre l’Allemagne; la France, depuis Mme de Staël et par les voies les plus diverses, a montré qu’elle savait rendre hommage à ce noble et laborieux pays. Ce n’est donc pas un mauvais sentiment qui nous anime quand nous constatons les torts de l’Allemagne à l’égard des nations slaves, c’est plutôt notre sympathie pour cette nation allemande, si méritante à d’autres égards, qui est ici blessée. Est-ce bien l’Allemagne, si jalouse de ses droits nationaux, qui méconnaît le droit des Polonais de Posen et des Tchèques de Bohême? Quand on vient d’entendre les plaintes de M. Palaçky, on a besoin de se rappeler que les esprits d’élite en Allemagne condamnent ces insolences du germanisme vulgaire. M. Palaçky lui-même fait appel à ce souvenir. « Vous qui prétendez avec mépris que le Slave est exactement le contraire du Germain, oubliez-vous donc, s’écrie-t-il, les paroles de Jacob Grimm? C’est le premier de vos grands investigateurs, c’est le maître et le gardien de vos traditions nationales. Eh bien ! après avoir étudié à fond tous les peuples du monde moderne, il affirme que, dans la généalogie des nations, la race allemande tout entière n’a pas de plus proches parens que les hommes de race slave.» M. Palaçky aurait pu rappeler en même temps que, si Hegel n’a pas donné place aux Slaves dans sa Philosophie de l’histoire, Herder, au XVIIIe siècle, les avait vengés d’avance. Dans ce noble livre des Idées qui enchantait Goethe, lisez le chapitre consacré aux Slaves; Herder nous les montre généreux, hospitaliers jusqu’à l’excès, amis de la liberté des champs, absolument inoffensifs, et par ces vertus mêmes exposés aux coups des races brutales. « Comme il n’y avait parmi eux aucun prince héréditaire qui entretînt l’esprit guerrier et que d’ailleurs ils consentirent sans peine à payer d’un tribut le droit de vivre en paix dans leurs foyers, diverses nations, la plupart d’origine germanique, se réunirent pour les accabler; ... mais la roue du temps tourne sans s’arrêter. Bientôt la législation et la politique de l’Europe, au lieu de l’esprit militaire, ne tendront qu’à exciter le génie paisible de l’industrie et à multiplier les relations amicales des peuples. Or, puisque les contrées qu’ha-