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grande nation à l’esprit spéculatif, des philosophes d’une espèce particulière tout prêts à coordonner en système les plus violentes absurdités ; ils se feront fort, par exemple, de démontrer a priori que le principe de l’égalité de droits de nation à nation est un non-sens. La commune origine du genre humain est une fable à leur avis, aussi bien que l’histoire d’Adam et d’Eve. La nature, qui ne crée pas deux feuilles absolument semblables, n’a pas créé non plus deux nations douées d’aptitudes égales, et si une race en naissant a reçu un privilège, elle a reçu en même temps le droit de le faire valoir. C’est pourquoi les Allemands, étant mieux doués, étant plus énergiques et plus nobles que les Slaves, ne sauraient consentir à se voir placés au même rang. Voilà les principes du parti allemand, principes qui ont cours aujourd’hui non-seulement dans les livres et les journaux, mais jusque dans les cabarets. Or si les Allemands, par un privilège de nature, sont plus mâles et plus nobles que les Slaves, qu’était-il devenu, ce privilège, pendant la guerre des hussites? » L’historien a beau jeu ici pour rappeler aux Allemands les grands jours de la race tchèque. C’était le temps où la Bohême faisait reculer l’Allemagne sur tous les champs de bataille. Lorsque le concile de Bâle accorda aux hussites les concessions connues sous le nom de compactats, il déclara ouvertement le motif qui avait dicté sa décision, et ce motif si glorieux pour les Tchèques, c’est que, suivant un jugement de Dieu impénétrable aux hommes (inscrutabili divino judicio), les Bohèmes n’avaient pu être vaincus que par les Bohèmes. Et combien de titres encore leur fournissait cette grande époque! Aux XIVe et XVe siècles, ce n’est pas l’Allemagne, c’est la Bohême qui a le pas dans l’ordre intellectuel : la grande université de cette période est l’université de Prague. N’allez pas croire pourtant que l’historien enivré de ses souvenirs méconnaisse le génie allemand, comme les Allemands de l’Autriche méconnaissent le génie de la Bohême. Il sait ce que vaut l’Allemagne, il honore sa science, ses arts, ses vertus, les services qu’elle a rendus à la civilisation moderne, il ne fait aucune difficulté d’avouer que le niveau de la culture allemande depuis deux siècles est supérieur au niveau de la culture bohème ; mais qui donc a produit ce résultat? Alléguera-t-on encore un privilège de race, une supériorité de nature? Depuis deux siècles, les Allemands d’Allemagne, sinon ceux de l’Autriche, ont pu travailler librement à leur éducation, accomplir des progrès de toute sorte, et en Autriche même ce que le gouvernement a fait pour l’instruction du peuple (bien peu de chose en vérité) a toujours été réservé à la partie allemande de l’empire, « Notre culture d’aujourd’hui, s’écrie M. Palaçky avec un mélange de tristesse et de fierté, notre patrimoine intellectuel, nos sciences,