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L’habile publiciste poursuit en toute franchise l’exposé de ses doctrines, c’est-à-dire des vœux de son pays. Il pressent les objections et les réfute d’avance. Il adresse à ses adversaires les questions les plus embarrassantes, il les contraint à des aveux, il les oblige à sortir de l’équivoque. Ses dilemmes sont terribles, car ce n’est pas l’argumentation d’un polémiste rompu aux ruses du métier, c’est la réalité même qui s’exprime par sa bouche. Rien n’est plus redoutable que ces dilemmes où l’on se trouve enfermé par la nature des choses. « Vous proclamez, dit M. Palaçky, que l’union des peuples de l’Autriche avec l’Allemagne est pour l’Autriche une condition d’existence; à qui donc cette union a-t-elle le plus profité jusqu’à présent? Est-ce aux peuples de l’Autriche? est-ce à l’empire d’Allemagne? Interrogez l’histoire, sa réponse est claire. Le mal que cette union a causé au plus grand nombre des peuples de l’Autriche, un enfant même pourrait le dire; le bien qu’ils en ont retiré, où est-il ? » Ici, les publicistes allemands sont bien obligés de reconnaître que l’union de l’Autriche avec l’Allemagne est un intérêt tout allemand, et, relevant le reproche de germanisme que semble contenir l’argumentation du publiciste slave, ils ajoutent que cet intérêt est précisément la règle de leur conduite, qu’ils sont Allemands, qu’ils servent la cause allemande. « Fort bien, c’est votre droit, répond l’imperturbable champion des Tchèques; mais alors, si vous arborez le drapeau du pangermanisme, quels reproches pourrez-vous faire à ceux qui arboreront le drapeau du panslavisme? Vous sacrifiez l’Autriche à l’Allemagne; les Slaves d’Autriche sacrifieront l’Autriche à la Russie, tandis que les Valaques de Transylvanie se tourneront vers Bukharest et les Serbo-Croates vers Belgrade. Du même coup le grand empire de l’est se trouvera disloqué; il n’y aura plus d’Autriche. » Encore une fois, le dilemme est terrible, parce qu’il est le résumé de la situation. Le voici dans toute sa force : ou bien aidez-nous à construire l’Autriche nouvelle, ou bien, si vous préférez l’intérêt allemand à l’intérêt autrichien, ne vous étonnez pas que les autres races de l’empire conforment leur conduite à la vôtre. C’est vous qui nous pousseriez malgré nous au panslavisme, si vos doctrines triomphaient. N’invoquez pas l’unité allemande pour nous écraser sous son poids, si vous ne voulez pas que nous invoquions, pour nous défendre, l’unité des races slaves.

Réduits au silence par cette argumentation sans réplique, les publicistes viennois n’avaient plus de ressources que dans la colère et l’injure. On devait s’attendre à rencontrer ici les théories orgueilleuses sous lesquelles l’Allemagne de nos jours prétend accabler les populations voisines de ses frontières; elles ont déjà servi,