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communes, elle est en ce moment devant la chambre des lords. Ici elle rencontre des contestations et des résistances qu’il était facile de prévoir, mais dont on ne songe pas à triompher autrement que par la discussion, par l’action régulière des pouvoirs publics, au besoin par quelque transaction, si cela devient nécessaire. L’autre jour, dans un banquet offert au prince de Galles et aux ministres par la corporation de Trinity-House, instituée pour établir des phares sur tous les points dangereux des côtes d’Angleterre, un des membres du cabinet, le lord-chancelier, ne s’est pas refusé le plaisir de parler en termes humoristiques, quoique nullement irrespectueux, de la discussion de la chambre des lords ; il a égayé le festin en exprimant le désir qu’on pût inventer une institution analogue à celle de Trinity-House « pour éclairer les détroits de la carrière politique ; » il a jovialement appelé les sympathies sur cette malheureuse chambre des communes, qui à l’heure actuelle est véritablement un « corps en souffrance, » qui croyait avoir fait un chef-d’œuvre avec son bill sur l’église d’Irlande, et qui voit ce chef-d’œuvre critiqué, bouleversé, remanié à la chambre des lords. « On se livre sur notre œuvre à une série d’expériences et de fantaisies, s’est-il écrié,… les teintes neutres disparaissent et font place aux oppositions les plus heurtées d’ombrés et de lumières… »

Le fait est que la chambre des lords a passablement maltraité le travail de la chambre des communes. Le bill a doublé sans encombre le cap de la première lecture, c’est-à-dire qu’il n’a pas été repoussé du premier coup ; en revanche, lorsque la discussion s’est ouverte, les amendemens se sont succédé de façon à faire dévier presque complètement la loi. Il y en a de toute sorte, et beaucoup ont été votés : amendement de lord Cairns ajournant jusqu’après la liquidation des biens de l’église l’emploi des excédans primitivement destinés aux institutions charitables, amendement exemptant de tout impôt les annuités qui devront être payées au clergé, etc. Il est douteux que l’œuvre ainsi mutilée ou métamorphosée soit du goût de la chambre des communes, devant laquelle elle revient maintenant, et si la chambre des communes, en cédant sur certains détails, résiste absolument sur les points essentiels, qu’arrivera-t-il ? Les deux chambres réunies en conférence selon la règle constitutionnelle arriveront-elles à une transaction, ou bien M. Gladstone sera-t-il obligé d’en appeler encore une fois au pays pour achever la défaite des lords ? M. Gladstone déclarait récemment qu’il n’oublierait pas au pouvoir les engagemens qu’il avait pris dans l’opposition. Cette campagne, dont l’abolition de l’église d’Irlande est le mot d’ordre et qui a eu déjà bien des péripéties, un jeune écrivain français, M. Edouard Hervé, vient de la retracer dans un livre écrit au courant de la plume sous ce titre : Une page de l’histoire d’Angleterre. L’auteur a raison de remarquer que, de toutes les nations de l’Europe, l’Angleterre, sans qu’on y prenne garde, est celle qui se transforme le plus vite