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incorrigibles et prétentieux libéraux d’avoir obligé le gouvernement, par le refus des nouveaux impôts, à suspendre des travaux utiles et à laisser en souffrance certains services publics. Ce qui a surtout froissé les nationaux-libéraux dans ces derniers temps, c’est la divulgation qui vient d’être faite d’une conversation de M. de Bismarck avec le correspondant d’un journal américain. La conversation doit être vraie. M. de Bismarck ne se gêne pas en vérité, il traite lestement ces messieurs du parlement, « dont chacun se tient pour un homme d’étal par excellence ; » il prétend ou à peu près qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ils n’ont pas la moindre idée de la situation, qu’ils ne savent que contredire, blâmer, soulever des difficultés sans avoir rien d’utile à présenter, qu’ils « se laissent dominer positivement par les idées féodales, » et en fin de compte il laisse entrevoir la possibilité d’en appeler cet automne aux électeurs, pour voir si ceux-ci « ne comprennent pas mieux la tâche d’un état moderne. » Notez que les journaux de M. de Bismarck se sont hâtés de publier tout cela. Ce n’est pas précisément un acheminement vers une alliance prochaine. D’ailleurs, M. de Bismarck voulût-il cette alliance, le roi Guillaume la voudrait-il ? Les résistances de la Saxe, le ministre en villégiature à Varzin peut s’en moquer ; ce que pense et ce que dit le roi a une autre importance. M. de Bismarck sait bien que lui-même a eu plus d’une fois à s’arrêter, ou qu’il s’est donné l’air de s’arrêter devant cette volonté dont il a su si habilement se couvrir en certaines circonstances. Il en résulte cette situation assez mal définie où la Prusse, avec l’apparence de l’éclat et de la force à l’extérieur, ne laisse pas d’être travaillée d’embarras intimes, et c’est ce qui explique peut-être que M. de Bismarck voie sans déplaisir nos propres embarras. Il reste à savoir ce qui pourra sortir de cette solitude de Varzin où le bouillant chancelier de l’Allemagne du nord est allé se reposer de ses contrariétés. Il n’en faudrait pas beaucoup sans doute pour que, secouant maladie et méditations, il se lançât de nouveau sur une scène qu’il a ébranlée par l’audace de ses entreprises. Ce serait fait pour le guérir du coup et pour le dispenser de réfléchir sur les difficultés de la situation qu’il s’est faite à lui-même, qu’il a faite à la Prusse.

Il n’y a que les pays franchement et décidément libéraux depuis longtemps qui trouvent dans le régime parlementaire appliqué avec une virile sincérité la solution des questions les plus épineuses. Là où l’opinion est reine et maîtresse, ceux qui ont le pouvoir dans leurs mains ne sont pas obligés de se mesurer perpétuellement avec toute sorte d’obstacles invisibles, de s’étudier à passer à travers toute sorte de défilés obscurs. Que se passe-t-il aujourd’hui en Angleterre ? Depuis deux ans, la question de l’abolition de l’église d’Irlande est incessamment débattue : elle a été tranchée en principe par le pays dans les élections, elle est devenue une affaire de gouvernement par l’arrivée au pouvoir du ministère de M. Gladstone, elle a été pratiquement résolue par la chambre des