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contre le ministre des finances, M. von der Heydt. Il aurait essayé d’obtenir du roi l’éloignement de quelques-uns de ces ministres insuffisans, trop peu souples ou trop peu habiles ; mais le bon roi Guillaume n’entend pas raillerie sur ce point, il se ferait un scrupule de renvoyer des ministres désagréables au parlement. Que dirait l’univers, si un Hohenzollern pouvait être soupçonné de céder à une pression parlementaire, à un attentat contre sa royale prérogative ! M. de Bismarck, avec toute sa puissance, a été vaincu, et c’est alors, assure-t-on, qu’il aurait demandé à être momentanément exonéré de la présidence du ministère prussien, ce que le roi lui a tout de suite accordé. M. de Bismarck n’a peut-être pas été insensible au plaisir de laisser à ses collègues l’ennuyeuse besogne de batailler avec le parlement, qui se réunira au mois d’octobre, pour lui arracher l’argent dont on a besoin. Qui sait même si tout bas il ne se flatte pas de l’espoir que les ministres n’oseront pas affronter sans lui le combat, ou qu’ils sortiront de la lutte tellement meurtris qu’ils en deviendront impossibles ? C’est un plaisir des dieux que se donne là l’irritable chancelier. On dit tout ceci à Berlin, et on dit bien d’autres choses qui se rapportent à cette situation un peu confuse. On se figure volontiers que M. de Bismarck est allé à Varzin mûrir une autre idée. Il voudrait arriver à quelque modification constitutionnelle qui, en lui laissant toute son importance, tout son ascendant comme chancelier de la confédération, le débarrasserait des rivalités subalternes, des tiraillemens insupportables à son tempérament d’autocrate nerveux. Pour cela, il ne s’agirait de rien moins que de donner un caractère plus unitaire à l’organisation actuelle du Nordbund. Or c’est en vérité une grosse question, une grosse difficulté. Si effacée qu’elle soit, la Saxe ne résisterait-elle pas, et ne trouverait-elle pas des appuis dans sa résistance ?

Le parti national-libéral, qui se préoccupe moins de la liberté que de tout ce qui peut hâter la marche vers l’unité allemande, se prêterait sans doute à cette politique, il pourrait aider le chancelier fédéral à vaincre toutes les résistances, et de là est venu un soupçon. On a pu croire que M. de Bismarck songeait à se créer une nouvelle majorité parlementaire, que pour cela il voudrait essayer de gagner ou de décomposer le parti national-libéral actuel en donnant accès dans le ministère à quelques-uns des chefs les plus influens de ce parti. Les velléités qu’on prête à M. de Bismarck iraient-elles réellement jusque-là ? Cela est fort douteux. Le tout-puissant chancelier n’est guère l’homme des concessions ; il est trop accoutumé à gouverner comme bon lui semble pour faire des avances et des sacrifices d’opinion qui coûteraient singulièrement à son orgueil et à son humeur dédaigneuse. Ce qui est positif, c’est que les chefs du parti libéral-national ne croient guère à cette évolution, et ils n’ont aucune raison d’y croire, puisqu’en ce moment même ils sont traités avec une étrange aigreur par les journaux amis du premier ministre, puisqu’on se plaît à accuser ces