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Les Polonais, en se montrant un peu plus accommodans ou plus politiques dans leurs rapports avec Vienne ; ne sont pas moins fermes dans leurs revendications. Il n’y a plus moyen cependant de prolonger une situation si visiblement provisoire, si dangereusement précaire. M. de Beust s’est tiré d’embarras jusqu’ici par sa dextérité, il porte le fardeau des affaires de l’empire avec une aisance apparente, sans cesse occupé à empêcher les chocs, les tiraillemens. Le moment approche où l’Autriche sera bien obligée d’aller jusqu’au bout de sa transformation. Tant qu’on n’en est pas venu là, on n’a rien fait, la monarchie autrichienne reste, pour ainsi dire, en l’air. La Bohême demeure livrée à la propagande panslaviste, qui n’est à craindre que si on ne fait rien ; l’Autriche n’est que très médiocrement relevée des désastres de cette guerre de 1866, qui, en l’exilant de l’Allemagne, lui a créé la nécessité d’une politique nouvelle, politique qui peut elle-même se résumer en deux mots, liberté dans les institutions, équité dans les rapports des nationalités qui composent l’empire.

Que la Prusse de son côté triomphe des événemens qui ont accablé l’Autriche, qu’elle montre dans sa politique extérieure une ambition proportionnée à ses victoires, le fier sentiment de son rôle, c’est assez naturel ; au fond, la Prusse n’est pas plus que l’Autriche et plus que la France à l’abri des difficultés intérieures. La Prusse ne fait point assurément tout ce qu’elle voudrait ; elle n’est pas au bout de ses peines dans l’œuvre d’assimilation des provinces nouvelles, ni même dans cet agencement compliqué qui lie la confédération du nord à l’hégémonie prussienne. La campagne financière que le cabinet de Berlin vient de faire n’a point décidément réussi ; les confédérés de la Prusse ont refusé de voter les impôts nouveaux qu’on leur demandait, et, comme il faut de l’argent, on sera bien obligé d’en demander vers le mois d’octobre au parlement prussien, qui ne sera peut-être pas mieux disposé à en accorder. Le sentiment de toutes ces difficultés n’est point sans doute étranger à la retraite momentanée de M. de Bismarck, qui vient de quitter la présidence du ministère prussien, en restant toujours, bien entendu, chancelier de la confédération du nord, et qui est parti aussitôt pour ses terres de la Poméranie, pour Varzin. C’est toujours à Varzin que l’impétueux chancelier va se reposer de ses ennuis et se refaire en méditant des expédiens nouveaux à l’abri de quelque maladie invoquée à propos.

Le départ de M. de Bismarck est pour le moment ce dont on s’occupe le plus à Berlin après les affaires de France, qui ont le privilège d’exciter un singulier intérêt. Malheureusement, dans le monde berlinois, surtout dans la diplomatie, on ne croit guère, on est parfaitement décidé à ne pas croire aux maladies de M. de Bismarck ; on croit à ses agacemens de nerfs, à ses ennuis, à ses impatiences. Cette dernière campagne financière qui a si mal tourné lui a laissé, à ce qu’il paraît, une terrible irritation contre ses collègues du cabinet prussien, particulièrement