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France, qui se retrouve jusque sous les rivalités nationales, qui se manifeste par toute sorte de symptômes, et dont le dernier mot est une heureuse nécessité de progrès.

Que l’Autriche sente le besoin de se refaire une situation diplomatique en Europe et de reprendre son équilibre au centre des puissances continentales, c’est bien clair ; mais, pour elle, la première loi, c’est la reconstitution intérieure, c’est la pacification de tous les antagonismes qui dévorent l’empire, c’est le rajeunissement de la monarchie par la liberté et par l’équité. L’Autriche est tout entière à cette œuvre, qu’elle a commencé de réaliser par ce qu’on a nommé le dualisme, machine assez compliquée dont on voit en ce moment jouer un des ressorts par la réunion des délégations à Vienne. Il reste à savoir ce qu’il y a de définitif dans ce système du dualisme, ce qu’il y a de sérieux et de durable dans ce partage baroque de l’Autriche en une Cisleithanie et une Transleithanie, division d’autant plus bizarre qu’elle ne répond à rien de précis, qu’elle n’est même pas vraie géographiquement, que des provinces rattachées au groupe de la Cisleithanie sont par le fait situées au-delà de la Leitha. Le dualisme, on commence bien à le voir aujourd’hui, n’a été qu’un expédient : il a eu sans doute une conséquence heureuse, puisqu’il a réconcilié la Hongrie et qu’il en a fait une des forces de la monarchie ; mais comment l’Autriche s’arrêterait-elle en chemin dans ce travail de réorganisation intérieure par la pacification des races diverses qui peuplent l’empire ? Ce qu’elle concède aux Hongrois, comment le refuserait-elle aux Tchèques de la Bohême, aux Polonais de la Galicie, qui les uns et les autres réclament les droits de leur nationalité et de leur autonomie ? Et si le cabinet de Vienne fait la part de toutes les nationalités de l’empire, s’il entre dans cette voie de libérales concessions qui conduit tout droit à une monarchie fédérative, que devient le dualisme ? Les Hongrois à leur tour ne se sentiront-ils pas menacés dans l’importance qu’ils ont soudainement reconquise, que le système actuel leur assure ?

L’Autriche en est là, elle a fait réellement moins de chemin qu’on ne le dirait ou que ne le ferait croire le succès de sa politique vis-à-vis de la Hongrie, et la difficulté devient d’autant plus pressante que tout ce qu’on a tenté pour réprimer, pour contenir les autres nationalités n’a réussi qu’à les aiguillonner, à les aigrir. Les Tchèques ne se laissent nullement ébranler ; ils ne se révoltent pas, ils se retranchent dans une attitude de résistance passive tant qu’on ne reconnaît point leurs droits ; ils multiplient les meetings pour revendiquer leur autonomie historique, la semi-indépendance de la « couronne de Bohême. » Les Tchèques sont pour le moment les irréconciliables de l’Autriche, non pas irréconciliables avec l’empire, avec la couronne des Habsbourg, mais irréconciliables avec le centralisme de Vienne, avec le système qui tend à confondre politiquement toutes les nationalités sous ce nom barbare de Cisleithanie.