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Napoléon Ier était à la fois « le plus décidé et le plus indécis des hommes. » Cela peut sembler étrange, rien n’est pourtant plus vrai, et ce qu’il y a de plus bizarre, c’est que l’empereur était surtout indécis aux momens difficiles, aux heures critiques, lorsque la fortune cessait de lui sourire. C’est au contraire dans ces momens que les chefs politiques doivent retrouver leur sang-froid, leur décision et leur coup d’œil. Assurément, il y a deux mois encore, le gouvernement pouvait tout, il n’avait qu’à vouloir pour accomplir aisément et sans péril toutes les réformes nécessaires ; il a préféré attendre, et il s’est trompé, non certes par un calcul perfide, mais par une complaisance d’inertie, peut-être par une bonne intention, parce qu’il a voulu, avant de rien faire, juger des dispositions véritables du corps législatif. Il en est résulté qu’il ne s’est pas même assuré le bénéfice moral des résolutions qui étaient dans son esprit aussi bien que dans la nature des choses, et qui se sont fort compliquées, on en conviendra, en se manifestant dans les conditions où elles se sont produites. De cet amas d’hésitations, il est résulté encore qu’au dernier instant les questions personnelles sont venues se joindre aux questions politiques, non plus pour les simplifier comme cela aurait dû être, mais pour les aggraver.

Le vrai victorieux en tout ceci, et un victorieux peut-être assez embarrassé, c’est le tiers-parti, qui a conduit cette campagne, qui semble naturellement appelé à recueillir l’héritage d’une situation qu’il a contribué à créer. Le tiers-parti a vaincu en réalité, non-seulement par l’interpellation qui a provoqué la crise actuelle, mais encore, si nous ne nous trompons, par l’influence qu’il a elle à un certain moment sur les déterminations de l’empereur. Nous ne recherchons plus si la présence de M. Rouher au pouvoir n’eût pas été favorable jusqu’à l’accomplissement définitif des réformes désormais décidées, et si, étant favorable, elle n’était pas devenue au moins très difficile en face des oppositions croissantes que rencontrait le ministre d’état d’hier. Ce qui semble parfaitement avéré, c’est que dès la première heure M. Rouher avait demandé à se retirer du pouvoir, et que jusqu’à une date très récente, jusqu’à dimanche, l’empereur avait absolument refusé d’accepter la démission du ministre d’état. L’empereur semblait persister à croire que M. Rouher pouvait très bien rester aux affaires et l’aider à réaliser sa politique nouvelle ; il n’a cédé et n’a fini par accepter la démission du ministre d’état que lorsqu’il a vu que c’était à peu près la condition des hommes du tiers-parti qui devaient nécessairement entrer au pouvoir. C’est M. Schneider, dit-on, qui aurait fait sentir à l’empereur la nécessité de cette retraite de M. Rouher, et c’est plus sûrement encore le même M. Schneider qui aurait demandé au chef de l’état la prorogation indéfinie du corps législatif. Cette prorogation ne devait d’abord s’étendre que jusqu’au 19 juillet pour laisser à un nouveau cabinet le temps de naître ; c’est sur