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autre côté fort à désirer pour la manière dont elle s’accomplit. Elle procède véritablement un peu trop par surprise et par coups de théâtre, elle se ressent trop manifestement d’un long oubli de toutes les habitudes de la délibération publique, de l’inexpérience des hommes et de la contradiction des choses. C’est bien là, comme nous le disions, le caractère de ces mouvemens soudains et irrésistibles qui échappent à toutes les directions une fois qu’ils sont déclarés, qui entraînent tout avec eux, qui font assez bizarrement passer les retardataires eux-mêmes aux premiers rangs de l’armée en marche, et dégénèrent quelquefois en confusion. La conséquence est cette condition étrange où nous nous trouvons jetés tout à coup aujourd’hui, car enfin, il n’y a pas à s’y tromper, nous sommes provisoirement dans une situation qui ne s’est pas encore vue. Nous avons un corps législatif qu’on ajourne indéfiniment avant même qu’il ait achevé la vérification des pouvoirs pour laquelle il avait été réuni. Voilà une constitution proclamée fort malade qui doit attendre au moins quatre ou cinq semaines encore la consultation des médecins de service et l’application, des remèdes. Il y a un ministère tombé, tout au moins en partie désorganisé, et il est réellement assez difficile de former un nouveau cabinet dans l’état actuel. Les membres du corps législatif peuvent-ils dès ce moment, sans attendre la décision du sénat, entrer aux affaires ? S’ils n’y entrent pas, quelle pourrait être la signification d’un nouveau cabinet ? S’ils entrent au pouvoir en gardant leur mandat législatif, ils sont au moins pour un mois dans une position fort irrégulière qui est une violation de la légalité telle qu’elle existe encore. Ce sont des ministres selon le message impérial et non pas selon la constitution. Tout cela est passablement décousu, singulièrement incohérent, et montre plus de vague, plus de trouble d’esprit que de netteté et de résolution à l’approche d’une crise qu’il était si facile de voir venir. On s’est laissé surprendre, on ne s’est préparé à rien, voilà la vérité.

Ce n’est point sans doute le moment de chicaner la pensée qui a dicté la lettre lue il y deux jours au corps législatif, et qui reste entière ; il n’est pas moins clair qu’à voir les choses de près, si la capitulation du gouvernement personnel n’est pas dans le message du 12 juillet, elle est clairement écrite dans la manière de conduire les événemens de ces derniers jours. On a fait tout ce qu’il fallait pour compliquer une situation qui par elle-même pouvait être parfaitement simple, et pour laisser la porte ouverte à l’imprévu. Puisque le gouvernement ne pouvait avoir et n’avait point réellement l’idée de résister à un mouvement désormais à peu près invincible, il n’avait qu’une conduite à suivre : c’était d’agir à propos, de céder plus tôt et plus nettement, d’éviter jusqu’à l’apparence des tergiversations, au lieu de paraître attendre jusqu’au bout le secours des circonstances. Jomini disait sur Napoléon Ier un mot curieux que M. Sainte-Beuve rappelait récemment. Jomini prétendait que