Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on aurait pu former à l’occasion une armée très considérable. » Ces chiffres prouvent, malgré une exagération évidente, que la population du royaume avait alors une certaine densité. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Lorsqu’après avoir fondé l’unité de leur immense empire les souverains de la Chine songèrent à faire peser sur tous leurs voisins un joug dont les empreintes se révèlent encore, les Laotiens n’échappèrent pas d’abord plus que les Tonkinois, les Siamois et les Cambodgiens aux envahissemens de ces conquérans insatiables. Dispersés sur les bords du Mékong, sans intérêt commun, n’ayant point encore de centre où vinssent se grouper les ressources, se réunir les forces, ils n’opposèrent à la conquête qu’une résistance impuissante ; mais ils se rapprochèrent peu à peu, et parvinrent à former une sorte de république. Cette organisation favorable au développement des qualités qui fondent ou qui sauvent une patrie paraît avoir subsisté jusqu’au Ve ou VIe siècle de notre ère. Elle permit aux Laotiens de chasser les Chinois. À cette époque, leur état serait devenu monarchique. Peut-être faut-il faire remonter jusque-là l’origine de Vien-Chan, qui devait être plus tard la capitale brillante du plus puissant royaume laotien. S’il faut en croire l’ancien auteur qui me fournit ces renseignemens, des habitans de Siam se seraient rendus au Laos pour aider les Laotiens « à peupler leur royaume, » où ils se seraient définitivement fixés eux-mêmes, séduits par la fertilité du sol et les charmes du climat. D’une nature paresseuse et lâche, à la fois incapables et indignes de conserver à leur gouvernement la forme républicaine, les Laotiens sentirent le besoin de charger une seule tête de toute la responsabilité du pouvoir ; mais ils ne pouvaient s’entendre sur le choix d’un souverain par l’effet de l’ambition, de la crainte ou de l’envie. Les Siamois, en gens habiles, s’efforçaient pendant ces luttes sourdes de diviser les électeurs et ne négligeaient rien pour les corrompre. Aux ambitieux, ils promettaient le gouvernement d’une province ; aux yeux des dévots, ils faisaient briller des pyramides et des pagodes dorées. Ces manœuvres réussirent, et le nom d’un membre de la famille royale de Siam sortit de l’urne où s’ensevelit en même temps la liberté du pays. « On croit, ajoute Marini, que depuis cette époque-là jusqu’à présent, bien qu’il y ait plus de mille ans de cela, les rois de Laos sont descendus de cette souche, en sorte qu’ils retiennent encore et l’idiome des Siamois et leur façon de se vêtir. »

Bien que cette assertion soit probablement une tradition recueillie sur place, il ne semble guère possible de s’y arrêter sérieusement. L’analogie de coutumes, de mœurs et surtout de langage qui existe entre les Laotiens et les Siamois indique une origine commune ; mais de cette analogie même ne pourrait-on pas