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d’un double treillis de fines lanières de bambou entre lesquelles le tapissier indigène place de larges feuilles. Tout cela est fixé par des liens en rotin ; il en résulte qu’à notre arrivée nous changeons à notre gré la distribution intérieure ; il suffit de défaire quelques nœuds. — Nous sommes encore dans un de ces royaumes créés par la politique siamoise au profit des princes dépossédés de Vien-Chan. C’est un moyen commode de se débarrasser de prétendans qui pourraient être dangereux. Les hommes de race royale se déclarent satisfaits à bon marché dans le Laos. Il ne leur faut qu’un titre, un parasol, une boîte à bétel et un crachoir d’or.

Phnom, où nous arrivons trois jours après notre départ de Banmuk, n’est pas un chef-lieu de province, et n’aurait aucune importance, s’il n’était un centre religieux où affluent les pèlerins. Une avenue longue, étroite, perpendiculaire au fleuve et pavée de briques, s’enfonce sous les palmiers ; elle conduit à la pagode, vaste monument rectangulaire entouré d’une galerie que supportent des colonnes peintes en rouge et semées d’ornemens d’or. Le chapiteau qui les termine est formé d’un faisceau de feuilles longues et aiguës comme les poignards arabes, et à la pointe recourbée. Au-dessus des portes et des fenêtres montent en pyramides sur le mur des ornemens dans le goût siamois, sortes de parasols royaux à plusieurs étages qui s’achèvent par un interminable bonnet pointu comme en portaient nos magiciens astrologues ; mais l’ornementation la plus remarquable est celle d’une fausse porte. Sur un fond rouge, entre d’élégantes guirlandes de fleurs et de feuillage doré, deux personnages également dorés ressortent en ronde bosse. Ils sont raides comme toujours ; cependant on démêle peut-être une sorte de sourire dans leurs traits grossis et sur leurs lèvres épatées. Ils sont soutenus par deux espèces de monstres griffons ou kabires qui exécutent loin de la terre une danse échevelée ; ceux-ci sont lancés vigoureusement dans l’espace ; leurs mains se tordent avec furie, leurs jambes font un écart extraordinaire. Les proportions sont bonnes, il y a là de la vérité, de la force, du mouvement, de la vie. — L’intérieur de la pagode est triste ; quelques peintures grossières salissent çà et là les murs, d’où la chaux tombe par plaques. Le plafond cependant mérite quelque attention. Les poutres peintes forment des caissons au centre desquels on voit une touffe de feuillage doré qui a l’aspect d’une racine abondante et chevelue, comme si la plante poussait vers le ciel.

Derrière la pagode s’élève une pyramide bizarre qui commence par une sorte de cube énorme sur lequel sont posés, séparés les uns des autres par des corniches, trois massifs rectangulaires qui vont en diminuant de hauteur. L’architecte a placé sur cette base comme une seconde pyramide qui reproduit d’abord les formes de