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chaux, et renferment une ou plusieurs statues dorées représentant Bouddha debout ou bien les jambes repliées sous lui, la figure grave, un peu béate, les oreilles pendantes. J’ai noté cependant, dans un village situé non loin de Khemarat, une statue qui diffère absolument du type uniforme généralement admis par les sculpteurs sacrés du Cambodge, de Siam et du Laos. Elle est placée dans une niche imitant la rocaille ; de toutes les cavités sortent des têtes de monstres, et des deux côtés, en guise d’anges adorateurs, deux dragons dorés s’élancent vers le ciel sur le fond rouge de la niche. Le dieu a pris à ce voisinage quelque chose de fantastique. Ses yeux ronds sortent de leurs orbites, et sa physionomie rappelle celle d’une grenouille enflée. L’extérieur de la pagode est ornée d’une façon bizarre. Nous avions vu bien souvent déjà des incrustations de verre faire miroiter un pignon au soleil ; ici c’est tout un service de la plus belle porcelaine de Chine qui décore le monument. L’architecte a enchâssé dans la chaux des plats bleus, et fait courir sur le mur une guirlande de soucoupes roses. On peut même distinguer à la place d’honneur des cuvettes et des rince-bouche européens. L’influence chinoise commence d’ailleurs à se faire sentir dans l’art laotien, s’il est permis de se servir de ce grand mot. Ce sont le plus souvent des enfans du Céleste-Empire qui se chargent d’exécuter les fresques sur les murs des sanctuaires. Les sujets de ces grossières enluminures sont presque partout les mêmes, d’abord l’image crue, très crue, du péché capital des Laotiens, puis, au-dessous, la représentation des supplices qui attendent dans l’autre monde les concupiscens des deux sexes, toujours punis par où ils ont péché. L’enseignement est à coup sûr très moral ; mais l’artiste sacré atteint-il bien son but ? J’en doute fort en voyant de quel œil émerillonné les jeunes bonzes parcourent ces compositions où semble s’être donné carrière l’imagination lascive de quelque Jules Romain. On n’est pas peu surpris de voir figurer à côté de ces allégories pieuses, au milieu des temples et des palais bleus, verts, rouges et jaunes, des vaisseaux européens avec l’équipage sur le pont. Je me rappelle que, dans un sujet de ce genre, ce qui paraissait surtout avoir frappé l’artiste, c’étaient les deux cheminées du navire à vapeur et les coiffures en tuyaux de poêle qui ont fait le tour du monde sur nos têtes.

Les sommets arrondis des hauts palmiers, le parfum pénétrant des fleurs éburnéennes de l’aréquier, indices certains d’un village, annoncent de loin le chef-lieu de la province de Banmuk, où nous attend un établissement complet préparé sur les bords du fleuve. Les Laotiens savent tirer du bois, et surtout du bambou, un parti surprenant. Ils improvisent une case avec une merveilleuse entente des besoins de leurs hôtes. Les cloisons sont toujours faites