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efficaces. Les premières difficultés contre lesquelles nous soyons venus nous heurter dans la ville de Stung-Treng ont en effet pris leur source dans le souvenir récent des actes de brigandage d’un Français cherchant à faire une fortune rapide. Le mandarin de Stung-Treng, pour arrêter le cours de ses déprédations, a tenté d’entraver sa marche. Cet étrange négociant s’est plaint à son retour, et l’amiral alors placé à la tête de notre colonie, abusé par un faux rapport, a cru devoir adresser de vives remontrances à la cour de Bangkok. Cette erreur ne peut manquer de se reproduire tant qu’un agent officiel ne jugera pas des choses sur les lieux. Nous ne saurions en effet, sans que notre prestige en souffre, admettre contre un Européen le témoignage non contredit d’un fonctionnaire siamois. Ces considérations seraient, on peut l’espérer, assez fortes pour triompher des objections que le roi de Siam, toujours soupçonneux, ne manquera pas d’élever contre une innovation aussi avantageuse à ses propres sujets qu’utile à nos nationaux. Le jeune prince qui a dernièrement remplacé son père sur le trône commence, dit-on, à sentir le poids de l’amitié des Anglais ; il tendrait à se rapprocher de nous ; le moment semble donc favorable pour obtenir une concession dont il ne serait pas impossible de lui faire comprendre le véritable caractère. — A partir d’Ubône, nos intérêts politiques et commerciaux paraissent moins directement engagés. Cette place elle-même est en relations fréquentes avec Bangkok par l’intermédiaire de Korat, vaste entrepôt situé par 15 degrés de latitude environ, et où sont établis un grand nombre de Chinois. Ceux-ci rayonnent de là dans toutes les directions à travers les possessions siamoises, et vont porter les cotonnades anglaises dans tout le Laos moyen.

Nous avions employé le mieux possible le temps de notre séjour à Bassac, séjour forcé qui allait être la cause d’une grande partie de nos souffrances. Le voyage d’Attopée et les autres excursions dans l’intérieur avaient augmenté sans doute la somme des renseignemens utiles recueillis par nous ; mais ils avaient eu l’inconvénient d’user nos forces sans nous rapprocher du but. Chaque jour écoulé de la saison favorable aux voyages était comme un ami perdu dont un adversaire terrible allait dans peu de mois prendre la place. Tandis que le désir d’éviter une seconde saison des pluies dans le Laos était un aiguillon pour nous pousser en avant, notre impatience venait inutilement se heurter aux habitudes des indigènes, dont l’indolence nous imposait des délais irritans. Il fallait bien d’ailleurs marcher lentement pour donner le temps de nous rejoindre à celui de nos collègues qui s’était rendu au Cambodge à la recherche du courrier.

Nous avions quitté le grand fleuve depuis plus d’un mois, et