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ministères. Supposez au contraire une minorité interprétant à la tribune le vœu incontestable du pays, elle aurait aujourd’hui la même consistance et la même efficacité avec 20 membres qu’avec 200. Ce résultat, on ne saurait trop le répéter, tient à l’essence du système impérial, qui, se flattant de ne pas être parlementaire, cesse d’être un régime où la prépondérance des voix est la force. Ce sont donc les mouvemens d’opinion, les vœux instinctifs et spontanés du public, qu’il faut saisir pour avoir la signification véritable des élections dernières. Les symptômes et les preuves abondent.

J’ai déjà constaté qu’en 1863 les candidats indépendans avaient eu la majorité dans le plus grand nombre des villes. Cette année, la manifestation est encore plus éclatante. L’attachement des populations éclairées pour le principe libéral s’est affirmé avec une sorte de préméditation intense et résolue. Quoi de plus surprenant que la manifestation de Paris ? En 1863, la liste du gouvernement avait été écartée : mais elle avait encore réuni plus de 88,000 suffrages. Les candidats de l’opposition démocratique avaient en tout obtenu 157,000 voix ; 7,000 voix environ s’étaient égarées. Les abstentions représentaient 27 pour 100. En mai et juin 1869, le nombre des inscrits est augmenté de 67,000 ; néanmoins l’ardeur de voter est telle que les abstentions tombent à 20 pour 100. Dans cette immense métropole, où la centralisation réunit tant de gens dans la dépendance du pouvoir, la liste officielle n’obtient plus que 76,356 adhésions. Les voix qui se prononcent pour la démocratie montent à l’énorme chiffre de 235,000 ; elles se divisent, il est vrai, par excès de force : 192,000 voix restent acquises aux neuf candidats élus, et 43,000 autres voix sont données à des concurrens d’une opposition plus accentuée encore. La défaite des candidats officiels était si généralement prévue que l’administration n’a pas trouvé sans peine des hommes assez dévoués pour accepter ce rôle sacrifié. Il faut noter enfin, comme un nouvel exemple de l’ingratitude populaire, que MM. Jules Favre et Garnier-Pagès n’ont pu être nommés qu’avec des appoints de voix conservatrices.

Dira-t-on que Paris, Lyon, Marseille, villes d’ateliers, sont des foyers de démagogie ? Transportons-nous ailleurs. J’ai sous les yeux une liste de 73 villes de second et de troisième ordre sur lesquelles on a pu réunir des informations[1]. Eh bien ! j’y compte 92,000 suffrages pour les candidats que le gouvernement patronne, et 298,000 pour ceux qui se présentent aux populations avec le prestige des tendances libérales. Cette intention a été si nettement marquée

  1. Cette liste comprend Bordeaux, Nantes, Angers, Reims, Nancy, Lille, Strasbourg, Le Havre, Toulon, Avignon, Saint-Quentin, Caen, Dijon, Besançon, Brest, Nîmes, Toulouse, Tours, Montpellier, etc.