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désignent et recommandent le candidat officiel ; il est promené et exhibé dans les tournées de révision, les comices agricoles, les fêtes locales. Chacun accomplit dans sa sphère son œuvre de propagande : ici les dons et promesses font merveille, plus loin c’est l’intimidation qui agit. L’élu du pouvoir trouve une multitude d’auxiliaires qui ne lui coûtent rien ; la main qui distribue les bulletins est souvent celle qui lacérera l’affiche de l’adversaire. La consigne de cette année était d’effaroucher les campagnes ; des analyses plus ou moins véridiques de ce qui se disait dans les réunions populaires de Paris ont été répandues jusque dans les hameaux : on a exploité les clubs au point de rendre le spectre rouge ridicule.

Malgré la variété des moyens dont l’autorité dispose, malgré l’article 75, qui inspire à ses agens une hardiesse souvent compromettante, le candidat indépendant n’aurait pas trop à s’effrayer de la lutte, si elle s’engageait toujours dans les centres suffisamment peuplés où la discussion et l’examen sont possibles ; mais comment réagir et se défendre contre les efforts de l’administration dans des localités comme la plupart de celles où s’exerce le suffrage universel ? N’oublions jamais qu’il y a encore en France 32,000 communes dans lesquelles le chiffre des électeurs varie entre 50 et 200, que plus d’un quart de ces électeurs ne savent pas lire, que, parmi ceux qui votent, il s’en trouve un assez grand nombre qui comprennent à peine le français, qui parlent le breton dans la presqu’île de l’ouest, le flamand sur les frontières du nord, l’allemand en Alsace et en Lorraine, et les patois dérivés du roman dans la région du midi.

Si le candidat plus ou moins officiel a pour lui l’action gouvernementale, qui semble irrésistible, du côté de l’opposition il y a une force supérieure encore, mais latente, diffuse et fugitive, difficile à concentrer et à manier : c’est le sentiment du progrès libéral inné en France, c’est l’entraînement de la nation vers ces destinées vaguement entrevues et vulgairement définies par ce mot, la démocratie. La guerre s’engage entre ces deux forces, et toute guerre est dispendieuse : première difficulté pour le concurrent isolé. Le gouvernement peut choisir ses candidats parmi des hommes riches, disposés aux sacrifices, pour qui d’ailleurs la question d’argent est simplifiée par le concours de l’administration. Il y a peu de localités au contraire où l’opposition possède des hommes remplissant les rares aptitudes que la démocratie exige et pouvant avec cela faire personnellement les sacrifices de temps, d’argent et de profession qu’entraîne la candidature d’abord, ensuite le séjour à Paris. Si on s’adresse à une notabilité parisienne, il est rare que celui à qui on fait cet honneur puisse retrancher de ses travaux le