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habitans, le département de la Seine n’aurait pas moins de 15 députés. En général, on s’arrange pour que les départemens ruraux aient à nommer, relativement à leur population, plus de députés que les départemens où les villes dominent[1].

La réunion de 35,000 électeurs inscrits étant nécessaire pour donner lieu à une nomination, il semblerait naturel que les citoyens se groupassent d’eux-mêmes pour ainsi dire, suivant les habitudes de voisinage et les affinités d’intérêts. On comprendrait par exemple que les habitans des villes vouées à l’industrie eussent, autant que possible, leurs mandataires spéciaux, comme les populations rurales et agricoles. La seule préoccupation de l’autorité au contraire est de favoriser les candidatures agréables en contrecarrant les autres. A cet effet, on s’applique à tracer les circonscriptions de manière à créer des antagonismes d’intérêts entre les électeurs, et à rompre les relations qui unissaient depuis longtemps certains électeurs à certains députés. Les seuls remaniemens devraient être ceux qu’un accroissement de la population électorale a rendus nécessaires. Il n’y avait dans ce cas, à la fin de 1867, que 9 départemens, comprenant 25 circonscriptions ; il s’agissait donc de porter le nombre de ces circonscriptions à 34 pour faire place à 9 députés de plus ; cela pouvait être exécuté sans déranger beaucoup la carte électorale. Eh bien ! on a bouleversé, outre ces 9 départemens, 25 autres encore qui comprenaient 72 circonscriptions, et dans lesquels aucun déplacement n’était nécessaire, puisque le nombre des députés à élire ne devait pas y être changé. Le seul mobile de l’administration a été non pas seulement d’écarter des adversaires connus, mais de détruire les noyaux d’opposition qui commençaient à se former.

A Paris, où le nombre des députés devait rester le même malgré les accroissemens de population, le découpage fantastique des circonscriptions avait surtout pour but d’écarter M. Thiers. Cet homme d’état, plus redoutable encore à ses adversaires par sa rare sagacité politique que par son grand talent oratoire, avait été envoyé au

  1. On sait que la loi électorale française élimine du suffrage universel les individus qui, quoique âgés de vingt et un ans, ne remplissent pas les conditions de domicile, ou sont frappés d’incapacités légales. Dans Les départemens où dominent les populations rurales et sédentaires, notamment dans le Tarn, le Tarn-et-Garonne et quelques autres, sur 1,000 habitans il y a 338 majeurs de vingt et un ans ; l’administration en inscrit 322, et il n’y a que 16 éliminations. Dans le département de la Seine au contraire, sur 1,000 individus, il y a 364 majeurs de vingt et un ans. Les inscrits sont au nombre de 167, et les éliminés au nombre de 197. La population de la Seine est à la vérité très mobile, et elle cache beaucoup de gens frappés par la loi ; mais l’administration n’abuse-t-elle pas un peu trop de ces prétextes ? — Pour la France entière, les hommes en âge d’exercer leurs droits civiques sont dans la proportion de 310 sur 1,000 de tout âge. Les inscriptions montent à 268, la moyenne des éliminations est de 42.