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orateurs du gouvernement. La parole était plus libre ; au lieu de la sèche analyse où on ne parlait qu’à la troisième personne, la sténographie du Moniteur, revue par le député lui-même, le mettait en scène avec son accent et sa passion, spectacle nouveau auquel le pays prenait un intérêt toujours croissant. On recommençait à compter les pulsations de la vie nationale ; mais était-ce là ce genre d’animation et de contrôle que les théoriciens du régime impérial avaient voulu ? Au contraire, plus les débats reprenaient de vivacité, et plus le rôle des cinq gagnait en importance. Eux seuls, par leurs fiers amendemens aux projets d’adresse, mettaient les grandes questions à l’ordre du jour. Seuls ils étaient en situation de réclamer la sincérité dans l’exercice du suffrage universel, les franchises municipales, la liberté entière de la presse, la réduction des contingens militaires, la fin des emprunts, le rappel des expéditions aventureuses qui commençaient, et nombre de choses qui étaient dans la conscience et dans les vœux du pays. Les cinq conduisaient les débats, parce qu’ils attaquaient toujours. Les ministres orateurs avaient l’air d’avocats plaidant pour l’acquittement d’un accusé. La majorité développait peu les ressources de savoir et de talent qu’il y avait en elle, enchaînée qu’elle était par la fatalité de son origine, la candidature officielle. Sur les bancs de la chambre, l’ancien candidat de l’empereur s’observait, se contenait, parce qu’il ne tardait pas à constater que son adhésion complète à la volonté de l’empereur était essentielle au système, parce qu’un blâme mitigé dans la bouche de M. Segris ou de M. Larrabure causait autant d’ébranlement qu’une sortie véhémente de l’un des cinq. La seule velléité de résistance, le rejet de la dotation Palikao, prit les proportions d’un événement. Malgré tout, le réveil de la vie politique valait encore mieux pour le gouvernement impérial que l’étouffement et le silence ; l’effet était meilleur, surtout à l’étranger. L’aveu en fut fait par M. de Morny, qui clôturait la législature de 1857 à peu près dans les mêmes termes qu’au début. « Un gouvernement sans contrôle et sans critique, disait-il, est comme un navire sans lest. L’absence de contradiction aveugle et égare quelquefois le pouvoir, et ne rassure pas le pays. »

Si les hommes du gouvernement, dans l’extase de leur omnipotence, avaient ouvert les yeux sur cette vérité, il était naturel que le pays en fût profondément imprégné. La fièvre électorale se déclara en 1863 avec un degré d’intensité que le régime en vigueur ne semblait pas comporter. A Paris seulement, cinq ou six comités de nuances diverses se constituèrent. Les hommes qui avaient figuré avec éclat sur les scènes politiques avant et après 1848 sortaient de leurs retraites pleins d’ardeur et d’illusions. Les millions d’électeurs disséminés dans les ateliers commençaient à donner signe