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d’urgence au remaniement de la loi électorale. Ils étaient choisis, la chose est à remarquer, parmi ceux qu’on supposait dévoués aux anciennes royautés et à l’exclusion des bonapartistes. Ce comité réunissait le savoir, l’éloquence, la longue habitude des affaires, le prestige personnel : une seule condition y manquait, cette vue simple et droite des choses que donne l’impartialité. Le sens du grand ébranlement de février leur échappait : ils n’y voyaient encore qu’un accès de fièvre chaude, un de ces accidens politiques auxquels on remédie avec de l’habileté et de la persévérance. Certes la combinaison légale qu’ils imaginèrent était d’une rare subtilité ; elle aurait pu réussir au temps du suffrage restreint et des malices parlementaires. En plein suffrage universel, cette atteinte à la constitution, cette mise hors la loi de 3 millions 1/2 de citoyens, étaient aussi contraires à la prudence qu’à l’équité. Les auteurs du projet, à ne considérer que la cause qui leur tenait au cœur, prenaient la peine de fabriquer le piège pour y donner tête baissée ; ils commettaient une de ces fautes irrémédiables sous lesquelles un parti succombe, et c’est le jour où 433 voix contre 241 adoptèrent leur œuvre qu’il aurait fallu dire : « L’empire est fait ! »

On le vit bien l’année suivante. Le résultat de la loi du 31 mai, comparé à la législation précédente, ayant été publié officiellement, le pays apprit avec étonnement que le nombre des électeurs était tombé de 9,936,004 au chiffre de 6,809,281, ce qui enlevait à 3,126,723 citoyens le droit que la constitution leur avait assuré. Pour le seul département de la Seine, les radiations dépassaient 131,000, environ 35 pour 100. La décomposition des chiffres de ce tableau démontrait que la population ouvrière des grandes villes était presque généralement exclue. Le 4 novembre, à la réouverture de la session, l’assemblée législative reçut du président de la république un message insistant sur la nécessité de rétablir le principe du suffrage universel dans sa plénitude. Entre autres vices de la nouvelle loi électorale, le président en signalait deux dont il était personnellement victime. Premièrement la mutilation du corps électoral était un des argumens invoqués par ceux qui faisaient obstacle au remaniement de la constitution, il ne fallait pas leur laisser ce grief. En second lieu, cette constitution avait dit qu’en cas de ballottage le président pourrait être élu par 2 millions de voix, c’est-à-dire par le cinquième de la population virile, dans l’hypothèse où le droit de voter serait sans limite ; avec un corps électoral réduit à 6 millions, le minimum de 2 millions de voix nécessaires pour l’élection du président représenterait non plus le cinquième, mais le tiers des votans, contrairement à ce qu’avaient décidé les constituans de 1848.

Les germes de dissensions et de perplexité étaient jetés à pleines