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Jagello en effet publiait un édit qui devint la charte nouvelle de la Lithuanie chrétienne ; après avoir posé les premiers fondemens d’une cathédrale catholique dans son pays, le grand monarque y jetait aussi les premières bases des droits et des libertés publiques, salubre monumentum jurium ac libertatum, ainsi que s’exprime le document avec une concision et une énergie remarquables. Par cet édit célèbre, le souverain accordait à ses sujets lithuaniens le droit de disposer désormais en toute liberté de leurs biens et de leurs propriétés, de marier leurs filles, leurs paréos, selon leur volonté et sans l’autorisation du prince, de transmettre les héritages à leur gré et d’après les convenances de la famille. La veuve, elle aussi, devait désormais hériter de son mari, sauf à céder ces biens aux enfans issus du premier mariage en cas de secondes noces. Les sujets étaient également dispensés dans l’avenir de toute corvée (labores, robot) pour le prince ; ils m’étaient plus tenus qu’aux travaux d’utilité générale, tels que la construction des forteresses, et au service militaire ; en cas de levée en masse (pogonia), chaque homme était obligé de contribuer à la défense de la patrie. Enfin des juges étaient établis dans tout le pays ; ils devaient, sans l’intervention du grand-duc, recevoir les plaintes et prononcer des arrêts « d’après les lois qui sont en vigueur dans le royaume de Pologne, — pour que le droit soit égal envers ceux qui sont réunis sous la même couronne… »

Qu’on veuille bien se rappeler le tableau tracé plus haut de l’état intérieur de la Lithuanie païenne, de « l’esclavage organisé » qui a pesé pendant des siècles sur le pays de Gédimin, et l’on comprendra dès lors la signification que devait avoir pour l’adorateur de Perkunos « la foi nouvelle venue de l’étranger ; » elle en faisait un citoyen, elle lui assurait les biens de la terre et les joies de la famille, elle lui procurait ce salubre monumentum jurium ac liberiatum « à l’instar de la Potogne… « La liberté ! le droit ! mots jusque-là, inconnus de l’autre côté du Niémen et que la Pologne y apportait pour la première fois, — dons sublimes qui firent sans nul doute beaucoup pour l’union de la Lithuanie avec le Christ, qui firent tout pour l’union des deux peuples entre eux. Ceci apparaît avec une évidence lumineuse dans les deux assemblées politiques mémorables qui proclamèrent et ratifièrent cette union, à la distance de deux siècles, dans les deux grands actes parlementaires qui portent dans l’histoire les noms de Horodlo et de lublin, et qu’à nous reste encore à raconter.


JULIAN KLACZKO.