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jeunesse républicaine. Le premier article d’un programme rédigé par Godefroy Cavaignac en 1831 pour la Société des droits de l’homme était ainsi conçu : « la souveraineté du peuple mise en action par le suffrage universel. » Il ne paraît pas que ce vœu eût pris une forme plus précise. D’après les souvenirs personnels que j’ai consultés, les auteurs du programme se rattachaient aux traditions des assemblées républicaines. Ils n’allaient pas jusqu’au droit de vote illimité, et le type de leur électeur était encore quelque chose comme le citoyen actif. Après la dissolution des sociétés populaires, la pensée du suffrage universel survécut dans le parti républicain, mais isolément et à l’état de vague idéal.

Cela dépassait de beaucoup les visées de l’opinion commune. Le pays, en très grande majorité et dans ses catégories les plus considérables, ne comprenait et ne désirait rien de mieux que ce qui lui fut donné par la loi de 1831. Les conditions d’éligibilité sont simplifiées, d’importantes garanties sont obtenues : l’âge légal est abaissé à vingt-cinq ans pour l’électorat, à trente ans pour la députation ; le double vote est aboli ; le cens est réduit à 200 francs ; on fait, bien timidement encore, la part du mérite personnel, en n’exigeant qu’un impôt direct de 100 francs pour certaine catégorie de capacités réputées les plus inoffensives. Grâce à cet ensemble de mesures, le nombre des électeurs inscrits est à peu près doublé : il passe de moins de 100,000 à 167,000 d’abord, pour atteindre progressivement le chiffre de 241,000 inscrits, fournissant 200,000 votans. Les collèges électoraux organisent leurs bureaux et opèrent sans entraves. La chambre des députés recouvre le droit de nommer son président : non-seulement elle est souveraine en ce qui concerne son règlement intérieur, mais elle partage avec le pouvoir exécutif le privilège de proposer les lois. Cette réforme, si on en juge par comparaison avec les deux régimes précédens, était considérable. Elle suffisait au libéralisme de cette époque, qui se nourrissait trop volontiers peut-être d’abstraction politique et professait une indifférence dédaigneuse pour les problèmes d’économie intérieure. Aujourd’hui qu’on peut apprécier ce mécanisme électoral par les résultats qu’il devait infailliblement produire, on voit clairement l’abîme qu’il a creusé sous le trône de juillet.

Sous le régime du cens, la capacité électorale était attachée au paiement d’une certaine somme d’impôt, la représentation nationale ne correspondait ni à la diversité des intérêts, ni même au groupement des populations : c’est le vice originel du système. Sous la loi de 1831, qui prenait la richesse pour mesure, les départemens pauvres, où les contribuables atteignant au cens étaient rares, se trouvaient beaucoup plus représentés relativement que les