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HISTOIRE
DU
SUFFRAGE UNIVERSEL

Dans les vieux temps monarchiques, il est arrivé plus d’une fois qu’un souverain parvenu au trône en bas âge, et bien éloigné de comprendre que la toute-puissance résidait en lui, grandissait dans une atmosphère énervante, indolent et nul en apparence, donnant à penser qu’il ne serait jamais apte à régner, et que des ambitieux exploiteraient le pouvoir en son nom. Un beau jour, on apprenait que le prince venait de se manifester par un de ces traits qui dessinent un caractère et révèlent tout un avenir, et alors c’était parmi les peuples une commotion profonde, parce que dans cet acte du mineur émancipé une génération tout entière lisait un changement de régime et des destinées imprévues. Quelque chose d’analogue vient de se passer sous nos yeux. Nous avions aussi un souverain, né depuis une vingtaine d’années, assez mal élevé, quoique très flatté, ignorant, avec peu de moyens pour s’instruire, insouciant, crédule à l’excès, ayant peur d’agir, laissant tout faire par ses gouverneurs et ses ministres, si bien que ceux-ci pouvaient se promettre une longue veine d’omnipotence. Eh bien ! voilà tout à coup que le sournois s’émancipe : il montre par un éclat soudain qu’il est une force, qu’il sera bientôt une volonté, et qu’il faudra compter avec lui. Le maître absolu qui vient de se révéler, c’est le suffrage universel.

Les élections de 1869 feront époque dans notre histoire. Elles ont produit une émotion qui sera longtemps vibrante, non-seulement en France, mais en Europe : elles ont dégagé un élément