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plébiscites ; elles suivent quelque grand courant né dans leurs profondeurs mêmes, souvent aussi elles ne font qu’obéir à la direction plus ou moins éclairée de ceux qui les dispensent de choisir, cywuny, starostes ou préfets… Ce qui mérite d’arrêter un esprit réfléchi, c’est qu’aucune résistance, même partielle, ne se soit élevée quand un grand-prêtre de l’étranger vint abattre les temples de Znicz, c’est qu’une religion qui avait dans le passé de si profondes racines, qui naguère encore était défendue par un clergé puissant et pour laquelle les compagnons de Keystut avaient soutenu tant de combats héroïques, que l’antique culte national enfin n’ait point tenté une lutte suprême. Les documens contemporains ne parlent que de deux boyars « obstinés dans le manichéisme » que le fils d’Olgerd a dû faire exécuter. Faut-il attribuer une victoire aussi incontestée de l’Évangile au lent travail des âges passés, au sang fécond des martyrs franciscains sous les prédécesseurs de Jagello, à l’action sourde et pénétrante des princesses slaves et de leurs chapelles chrétiennes ? Doit-on y voir plutôt, avec tant d’historiens, un effet de cet esprit de servitude qui, en Lithuanie, aurait mis à la discrétion du prince la conscience de ses sujets aussi bien que leur fortune et leur vie en faisant du kniaz l’arbitre incontesté non-seulement des hommes, mais des dieux ? On serait peut-être mieux inspiré, si l’on voulait chercher dans le relâchement même de ce despotisme, — dans l’abandon généreux que fit alors le kniaz de la partie la plus exorbitante et la plus monstrueuse de ses prérogatives séculaires, — le secret principal du succès de « la croix léchite » à Wilno. Chose curieuse, partout où un grand changement religieux a été inauguré ou secondé par un chef de l’état, le pouvoir politique a rarement négligé l’occasion de fortifier sa puissance, d’étendre son cercle d’action, et depuis Constantin jusqu’à Henri VIII toute réforme dans un culte national a servi le despotisme des princes qui s’en étaient faits les protecteurs. Ce fut tout le contraire qui eut lieu dans la Lithuanie lors de sa conversion au christianisme. Là un prince vraiment supérieur, en donnant le signal de la rénovation religieuse à son peuple, se dépouillait en même temps, de sa propre volonté, d’une omnipotence jusque-là sans bornes et que le génie de la nation ne songeait nullement à lui contester. Rien peut-être n’honore plus la mémoire du roi Ladislas II, que cet acte d’une magnanime hardiesse, comme aussi rien n’était plus propre à pénétrer les Lithuaniens de l’amour du Christ, à leur démontrer que la foi ancienne avait bien été le règne de la misère et de l’esclavage, que la foi nouvelle, « la foi polonaise, » allait être le règne de la liberté et du bonheur.

Le mercredi qui suivit ce dimanche Esto mihi où s’écroula le sanctuaire de Znicz et de Perkunos, — un mercredi des cendres, —