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son art non l’expression d’une pensée, d’un sentiment, mais un autre moyen d’arriver. L’art simple, sans fracas, celui qui retrace des scènes historiques ou familières du pays, n’étant pas des plus goûtés en haut lieu, sera délaissé pour cet autre art retentissant, qui n’est ni grec, ni romain, ni national, correct cependant, académique dans le sens étroit du mot, uniforme à perte de vue comme ces perspectives qui environnent à Pétersbourg même les bâtimens de l’école. Les Derniers jours de Pompéi, toile de Brulof qu’on montre en exemple aux élèves, est un des plus parfaits modèles de cette manière de peindre. La composition est pleine d’étalage, l’action théâtrale et pompeuse, la lumière vive et dure. S’il sacrifie ainsi aux idoles, l’artiste acquiert des droits à toute sorte d’avancement, franchit rapidement tous les grades, monte les échelons du tchinn, comme tous les autres fonctionnaires, et se repose aussitôt qu’il peut dans la nonchalance et les honneurs. Il y a cependant en Russie plus d’élémens qu’il n’en faut pour qu’on puisse espérer d’y voir surgir des artistes puissans. Ils sont comme étouffés dans le cercle trop étroit des habitudes et des institutions du pays.

Il n’est pas inutile de jeter avant de finir un coup d’œil sur le Nouveau-Monde. Au point de vue de la haute éducation d’art, on peut dire que, malgré quelques tentatives partielles, les Américains ne sont pas encore entrés en ligne. Leur tour viendra ; il a fallu pourvoir auparavant à des nécessités plus pressantes. Ni dans les régions occupées par la race saxonne, ni dans celles qui furent autrefois des possessions espagnoles, l’art ne s’est encore implanté réellement. Il n’est point fait au sol, il n’est pas chez lui. Quelques essais particuliers ont témoigné plutôt de préoccupations prématurées d’esprits en avance sur leur époque que de besoins réels et généraux. En art, l’enseignement supérieur ne s’improvise pas plus qu’il ne s’impose par la force. Le terrain doit être auparavant préparé. Il faut certaines habitudes d’idées, un courant, une tradition. Pour la peinture seule, la tradition n’est pas indispensable, si l’on se contente de la recherche sincère et naïve de la réalité des choses, si l’on se propose de rendre par les procédés les plus simples l’impression qu’elles ont faite sur l’artiste. Ainsi se forment peu à peu des écoles comme celles des Flandres et de la Hollande. Leurs œuvres mériteront d’être dédaignées par ceux qui, montés au ton tragique, ne comprennent guère, à l’exemple du grand roi, que les images d’une vie solennelle et pleine de majesté ; mais elles rallieront les suffrages de ceux qui, moins exclusifs, se sentent capables d’être touchés par les divers aspects du beau. Les artistes auteurs de ces œuvres, maîtres aussi par un des côtés, non les plus élevés, mais les plus intimes, les plus familiers de