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pas été beaucoup plus édifié après l’avoir lue. Cette peinture abstruse est, dit-on, condamnée ; nous ne la regretterons pas.

Montons un peu plus haut vers le pôle : ceux qui sont venus les derniers et qui ne se montrent pas les moins ambitieux parmi les peuples européens n’ont pas désespéré, — à 59 degrés de latitude nord, dans un pays où les fleuves restent gelés la moitié de l’année, où les blanches statues des divinités du midi, transportées sous un ciel inclément, frissonnent malgré leur abri de bois et voient se fendre leur chair de marbre, — de réchauffer le zèle, l’enthousiasme, l’inspiration des élèves d’une école d’art. La ville qu’un despote réformateur, faisant violence aux tendances orientales de la nation, bâtit à l’embouchure de la Neva, et dont il fit la capitale militaire, maritime, civile et religieuse de l’empire russe, Saint-Pétersbourg, posséda peu de temps après sa fondation une école et une académie des beaux-arts. Ce fut Elisabeth qui les établit sur la sollicitation du comte Schouvalof. L’école était du ressort de l’académie des beaux-arts, sorte d’annexe de celle des sciences. L’impératrice la dota et y fit entrer une quarantaine d’élèves. Ce nombre fut plus tard porté à trois cents. On voulait que l’honneur qui rejaillit sur les souverains et sur leurs sujets de la haute culture de ces arts que les Grecs avaient réputés divins ne fît pas défaut à l’empire naissant. On croyait improviser des artistes. Or la Russie a eu à sa tête des monarques intelligens, même des hommes de génie, mais qui n’avaient guère confiance qu’en l’opiniâtre puissance de leur volonté. Les futurs artistes étaient internés dès l’âge de six ans dans l’école académique. La munificence impériale les défrayait de leurs dépenses. On mettait à leur portée tout le savoir dont on pensait qu’ils pouvaient avoir besoin. On leur enseignait à lire, à écrire ; on ajoutait à cela un peu de calcul, un peu d’allemand et de français, puis les notions du dessin. Peut-être était-il difficile de faire mieux pour le pays et pour l’époque. Cependant le bagage dont on munissait ces pauvres enfans privilégiés était insuffisant. A quatorze ans arrivait pour eux une échéance fatale ; il fallait choisir l’art qu’ils se proposaient d’exercer ; il fallait dire s’ils seraient peintres d’histoire, de batailles, de portraits, de paysages, sculpteurs, graveurs, architectes. Les élèves, ayant choisi en toute liberté, passaient quatre ans dans l’académie, occupés de leurs études spéciales. On distribuait des prix chaque année, et ceux qui en avaient obtenu le plus étaient envoyés à l’étranger aux frais de la couronne. A quelques autres, on permettait de copier les œuvres des maîtres à l’Ermitage, dont la collection s’enrichissait sans cesse d’achats faits en France et en Italie.

Des mesures si savamment combinées ne firent pas un art russe, l’empire eut surtout des praticiens. Les peintres furent le plus