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mais quand les papes, dont les ressources et la puissance étaient diminuées, cessèrent d’être les protecteurs déclarés des grands artistes, la confrérie de Saint-Luc fut impuissante à en former. Du reste, la décadence était venue. Un peintre d’histoire, Girolamo Muziano, se préoccupa d’établir une académie dont l’installation serait magnifique. La salle devait être ornée de statues antiques et de beaux modèles de peinture ; l’académie donnerait des fêtes, non pas aux artistes seulement, mais aux poètes, aux mathématiciens, aux orateurs. Ce n’était rien autre chose que la réalisation vivante de l’École d’Athènes, le songe du peintre d’Urbin s’accomplissant après lui. Grégoire XIII s’était intéressé à ce dessein, il adressa au peintre, avec sa bénédiction, un bref par lequel il constatait lui-même le triste état des arts romains et la nécessité de faire quelque chose pour eux. « A raison de la sollicitude que nous éprouvons pour notre ville de Rome, nous inclinons singulièrement à protéger les beaux-arts, surtout ceux qui contribuent à l’ornement et à la splendeur de cette ville. Nos fils chéris les peintres et les sculpteurs de Rome nous ont fait représenter que les arts de la peinture, de la sculpture et du dessin perdaient chaque jour de leur beauté,… qu’on les voyait déchoir par l’absence d’une bonne direction d’école et par le défaut de charité chrétienne… » Ce mélange d’idées esthétiques et d’idées religieuses n’avait rien de singulier pour l’époque. Nous voyons de même que, sous Louis XIV, l’Académie de France à Rome est regardée comme un établissement dédié à la vertu, où les prières et les soins pieux ne devaient pas être négligés. Ces exigences furent assez longtemps, avec le droit de porter l’épée refusé obstinément aux élèves, une cause d’indiscipline.

Du reste, si l’on voulait sauver les âmes des artistes en dépit d’eux-mêmes dans l’académie de Muziano, on avait quelque souci des corps, et l’on songeait à faire de bons peintres. On fondait des études nouvelles, on ajoutait à l’ensemble des munificences le projet d’un hospice spécial pour recevoir à l’arrivée les nombreux jeunes gens qui devaient venir de tous les coins de la terre, pèlerins de l’art, travailler sous la discipline de l’académie romaine. Les membres de l’académie étaient autorisés à accepter des legs. C’était là une source présumée de richesse. A tous ces beaux projets, ce qui fit surtout défaut, c’est l’exécution. L’idée conçue par Girolamo Muziano ne fut réalisée qu’à moitié, et une quinzaine d’années après sa mort, par Zuccharo, qui se fit acclamer presque au pied du Capitole prince de l’académie de Saint-Luc, et qui se prit d’une si grande affection pour l’institution qu’il patronnait, qu’il la nomma son héritière. Toutefois l’académie fut de ces bonnes et honnêtes personnes qui ne font guère parler d’elles, suivant l’expression de Voltaire. Si Rome ne cessa pas de produire, les producteurs des œuvres d’art