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par des margraves teutons et des chevaliers teutoniques, une nation venait à une autre lui parler sans haine du Dieu de l’amour, lui donner le livre des livres sans le présenter à la pointe de l’épée, et en échange de la civilisation qu’elle apportait, elle ne songeait ni à demander la terre des habitans, ni à vouloir leur ravir leur langue, leurs mœurs, leur dynastie. Il était nouveau également, sans exemple peut-être dans les annales de l’Europe chrétienne, le spectacle de ce prince païen, revenant d’un pays étranger avec une foi étrangère, et la prêchant à ses sujets sur les chemins et les places publiques ! Cédons ici la parole à l’historien le plus récent, le moins suspect assurément de toute complaisance pour les Slaves et de tout entraînement de l’émotion religieuse : c’est un Allemand et un libre penseur déclamé qu’on va entendre.


« Quelque grandes que doivent être, — ainsi s’exprime l’historien allemand, — nos réserves et nos restrictions à l’égard de l’œuvre de Jagello, on ne saurait nier ce qu’il y avait de profondément touchant dans son rôle d’apôtre. C’est en vain qu’évêques et franciscains, pleins de zêle et d’enthousiasme, avaient prêché pendant si longtemps le salut du Christ aux adorateurs de Perkunos : c’étaient des voix dans le désert ; les prédicateurs ne connaissaient bien ni la langue ni le sentiment de la nation de Gédimin. Un roi se leva du milieu même de ce peuple, et il fut écouté ; il enseigna l’Évangile aux enfans de son pays dans leur idiome et selon leur esprit, et la munificence du maître put au besoin suppléer à l’éloquence de l’apôtre. Le manteau de drap blanc, par exemple, que le roi donnait à tout nouveau baptisé (en signe de renouvellement et de pureté) n’était pas probablement pour peu dans l’empressement des néophytes ; mais il est sûr que les néophytes arrivèrent en foules nombreuses, et demandèrent le baptême du Christ, il est sûr que les prêtres ne suffirent pas à la besogne, et qu’il fallut mener les catéchumènes par groupes à la rivière, des groupes d’hommes et des groupes de femmes séparément : on les aspergeait de l’eau purifiante, et ils se relevaient chrétiens. C’est par groupes aussi qu’on leur donnait des noms : telle bande reçut en bloc le nom de Stanul, de Yanulis (Stanislas, Jean), tel autre celui de Anna, de Yadziula (Hedvige) et ainsi de suite… Qu’il dut être émouvant aussi, le spectacle qu’offrit Wilno le 17 février 1387, et qu’on aime à se le représenter par l’imagination ! C’est un jour de dimanche, le dimanche Esto mihi ; on lit le même évangile qu’entendit Jagello l’an passé à Cracovie pendant le couronnement. Les neiges de l’hiver couvrent de leurs couches blanches la terre, les rameaux des arbres et les collines. Sur la plus haute des collines qui l’entourent la ville se dresse l’image de Perkunos « aux yeux rouges et courroucés et au front flamboyant ; » sur la plate-forme plantée de chênes brûle le feu éternel du dieu Znicz, « le dieu vénéré et inaccessible. » Une brise