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le secours des élèves de son atelier, le jeune artiste emménage dans sa loge tout le mobilier dont il a besoin. Les plus opulens y font déposer des divans ou des matelas. D’autres ne donnent rien aux raffinemens du luxe, et apportent seulement, suivant leur spécialité, soit un chevalet, une toile et des couleurs, soit de la terre glaise et des ébauchoirs, soit des planches et du papier. Sculpteurs et peintres ont la table à modèle, car on les autorise à consulter le modèle vivant ; mais les moulages, les dessins, les calques, sont l’objet d’une prohibition absolue. L’élève passe à son entrée dans l’école devant des gardiens qui, avec l’instinct de douaniers guettant des pièces de contrebande, sont habitués à dépister la ruse et à remettre en lumière les objets qui semblaient le mieux protégés contre leurs atteintes. L’administration les a armés du droit de fouiller à l’occasion les élèves logistes. Les artistes pourtant sont gens inventifs, et il circule des histoires plus ou moins apocryphes sur des fraudes qui n’ont point été découvertes. Certains de ces stratagèmes défraient les conversations de l’école, et ne laissent pas d’être pleins de gaîté et d’imagination.

Les loges se suivent et se ressemblent, s’ouvrant sur un long corridor où passe un gardien. Sauf que la lumière est libéralement distribuée, cela fait penser à une prison. L’élève entre le matin, sort le soir content ou mécontent, sa journée faite, ne croyant pas toujours, comme le Dieu des Hébreux, que son œuvre est bonne. La tradition veut que les élèves se visitent entre eux les derniers jours en dépit de la surveillance. C’est un usage auquel on ne manque guère. Chacun a vu l’ouvrage de ses concurrens, les prix sont décernés d’avance par une sorte de jury préalable avec lequel ne s’accorde pas le plus souvent le jury réel. Celui-ci est tiré au sort sur une liste que dresse le conseil supérieur de l’enseignement ; les peintres sont jugés par les peintres, les sculpteurs par les sculpteurs, l’architecture par les architectes. L’état croit devoir octroyer à tous les concurrens, même à ceux qui obtiennent le moins de succès dans le résultat final, une indemnité en argent. Cela sert à couvrir quelques-unes des dépenses, notamment les frais de modèles. Cependant la somme allouée n’est point assez importante pour que la « montée en loge » ne soit pas pour la plupart des concurrens une dépense relativement considérable. Quelques-uns, et souvent ce ne sont pas les moins dignes, sont pauvres. Ceux que ne pensionne pas leur ville natale ou leur département ont dû quelquefois renoncer à monter en loges. Ce résultat est fâcheux ; mais il est à peu près impossible de remédier aux causes qui le produisent.

Les programmes des concours ne sont point faits d’ordinaire pour échauffer l’imagination. En architecture pourtant, les projets de grandes constructions monumentales ne sont pas rares. S’ils ont