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l’atelier voisin. Ainsi se concilient par une bienveillance sincère et raisonnée les droits de l’élève et l’évidente nécessité de décourager certaines fausses vocations. L’école ne possède d’ateliers d’étude toujours ouverts que depuis le décret de 1863, qui l’a réorganisée sur de nouvelles bases. Avant cette date, les jeunes gens reçus comme élèves y venaient entendre des leçons, prendre part à divers concours, travailler d’après l’antique ou le modèle vivant sous les yeux de membres de l’Institut qui se relayaient pour examiner leurs travaux, et leur donner des conseils. Ces séances n’étaient pas suivies avec beaucoup d’assiduité. Il n’y avait rien de comparable à ces ateliers où un groupe de jeunes gens vit dans la même atmosphère d’idées, de traditions, de recherches. Pour en trouver de pareils, il fallait aller en dehors de l’école, à ces ateliers libres dont il est impossible de ne point parler dans une étude sur l’enseignement des beaux-arts. C’étaient simplement des réunions de jeunes gens se rassemblant dans un local loué par eux pour faire de la peinture, de la sculpture ou de l’architecture sous la direction d’un maître qu’ils s’étaient choisi et qui ne relevait pas de l’état. Si l’on en croit les romanciers, il n’est pas de plaisans tours que ces élèves ne se permissent à l’égard des nouveau-venus, des bourgeois et des voisins. La gaîté et la licence qui régnaient dans ces foyers d’études ont été fort exagérées. Ce qui est hors de discussion, ce sont les éminens services qu’ils ont rendus et que les admirateurs de l’organisation récente semblent trop portés à oublier. Tel des ateliers du siècle dernier, celui de David par exemple, exerça une influence décisive sur la marche de l’art. L’atelier de Guérin eut cette fortune étonnante qu’on en vit sortir trois des plus grands artistes de notre temps. C’est là que se préparèrent à la lutte des hommes qui allaient bravement se frayer à eux-mêmes et frayer à leurs successeurs une route encore inconnue. L’auteur de la Bataille d’Eylau et des Pestiférés de Jaffa, Gros, chez lequel se montre déjà une sorte d’impatience virile, un besoin inquiet d’émancipation, Géricault, qui n’eut que le temps d’affirmer son génie sur quelques toiles après avoir échappé violemment à la règle, et qui mourut jeune et glorieux sans avoir dit son dernier mot, Delacroix, à qui était réservée une carrière plus longue, illustrée par tant d’œuvres puissantes et inégales, avec tant de vicissitudes de combats, d’échecs, de déceptions et de triomphes, — ces trois représentans des tendances modernes ont appartenu à l’atelier de Guérin. L’éclat de ces ateliers libres dépendait surtout du talent de l’artiste qui les dirigeait ; ils grandissaient et mouraient avec l’homme qui les avait fondés. C’eût été le rôle naturel de l’École des Beaux-Arts de mettre la continuité de l’enseignement à l’abri de ces vicissitudes propres aux institutions privées. Ce rôle, une partie du public trouvait qu’elle le remplissait