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quelques membres nouveaux qui, pour réussir dans leur candidature, s’étaient présentés à la fois comme conservateurs et comme réformateurs et qui gardaient dans l’assemblée cette attitude complexe et flottante. Quoique peu nombreux, ce petit groupe, qui se donnait le nom de conservateur progressiste, était remuant et bruyant. « Non pas la conviction, mais la lassitude, et avec la lassitude quelque inquiétude gagnaient, dans les rangs de la majorité, quelques esprits modérés et prudens, remarque M. Guizot : il n’y avait, disaient-ils, point de bonnes raisons pour réclamer ces innovations ; mais il n’y en avait pas non plus de bien impérieuses pour les refuser encore longtemps. On pressentait que par le cours régulier des idées et des faits, elles ne tarderaient pas beaucoup à obtenir dans la chambre et dans une certaine mesure la majorité. »

On peut affirmer sans se tromper que, si les esprits modérés et prudens de la majorité parlaient ainsi aux ministres dans leur cabinet, ils parlaient naturellement avec un peu plus d’ouverture aux membres de l’opposition qu’ils savaient affectionnés à la monarchie et à la dynastie. Quoi qu’il en soit, à la session de 1847, la question de la réforme n’était encore qu’une question ministérielle, et point une question de gouvernement. Le ciel n’a pas voulu qu’elle restât dans ces limites salutaires. « L’impatience et l’imprévoyance, poursuit M. Guizot, ces deux fatales maladies de tant d’acteurs politiques, gagnèrent les deux oppositions, qui, dans des desseins très divers, attaquaient de concert le cabinet et le parti conservateur. » À ces deux maladies de l’opposition, je me permets d’ajouter une troisième maladie, qui était celle du ministère, et personne ne s’étonnera que, dans ces souvenirs où chacun fait librement la confession du parti opposé, je me rappelle mieux que M. Guizot la maladie du ministère. Cette maladie, c’était la politique conservatrice, le maintien de l’unité du parti conservateur devenu une sorte de pacte cabalistique, une sorte de religion dont M. Guizot était le grand-prêtre.

Ce sont les maladies que je viens de citer, l’impatience et l’imprévoyance des deux oppositions, la fermeté quasi-sacerdotale du ministère, de plus la docilité malavisée de la majorité de 1847 l’emportant sur sa clairvoyance, ce sont ces maladies politiques et non l’usurpation du pouvoir personnel par le roi Louis-Philippe qui ont amené la catastrophe de 1848. J’en tire cette conclusion : les réformes sont faites pour préserver les peuples des révolutions ; les tiers-partis sont faits pour procurer les réformes en préservant les gouvernemens du danger des ministres immuables et des adversaires irréconciliables.


SAINT-MARC GIRARDIN.