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du 24 juillet 1830, c’est-à-dire la veille même du coup d’état, des paroles tristement prophétiques. Les journaux du ministère prêchaient chaque jour la nécessité du coup d’état, et alors, chaque jour aussi voyant plus clairement l’avenir, le Journal des Débats disait le 24 juillet : « Un coup d’état est nécessaire, crient nos adversaires, parce que la royauté est aujourd’hui face à face avec la révolution. Il est faux, à l’heure encore où nous parlons, que la royauté soit face à face avec la révolution ; mais demain, s’il y a un coup d’état, cela sera vrai ! C’est la charte qui les sépare ; ôtez-la, les deux ennemis sont en présence. Oui, ôtez la charte, il n’y a plus de restauration ; il n’y a plus que la révolution et la contre-révolution ; nous reculons de plus de trente ans : la contre-révolution se retrouve en Vendée et dans le camp de Condé, la révolution à Jemmapes et à Fleurus, chacune avec sa force, et Dieu et les batailles pour arbitres. » Le lendemain en effet, c’est-à-dire le 25 juillet, cette barrière qui séparait les deux vieux ennemis et qui suspendait les événemens, était brisée par les ordonnances, et il n’y avait plus de restauration !

La révolution de 1830 a donc eu ce double caractère qui fait son honneur : elle a été à la fois la plus facile à éviter des révolutions, puisque la France ne voulait pas la commencer, et elle a été aussi la plus inévitable, une fois la lutte engagée par la royauté, puisque la France ne voulait pas abandonner ses droits. « Deux sentimens également dénués de tout motif sérieux et légitime, dit M. Guizot dans la nouvelle préface de ses Mélanges historiques et politiques, dominaient l’âme du roi Charles X : la peur de la révolution et la routine de l’ancienne royauté ; il se croyait en face des dangers de 1792 et en droit d’user du pouvoir personnel de ses ancêtres. L’une et l’autre de ces convictions étaient profondément inintelligentes et hors de propos. Malgré les menaces et les violences de la faction révolutionnaire, tout ce qui s’était passé depuis 1815 prouvait que la restauration constitutionnelle n’avait rien de définitif à redouter de la révolution. Malgré les velléités et les fautes du gouvernement royal durant la même époque, la même histoire prouvait que la France nouvelle n’avait rien de sérieux à craindre de la restauration. La restauration et la France nouvelle s’étaient l’une et l’autre bien défendues et maintenues. La chambre qui avait voté l’adresse des 221 et celle qui fut élue pour lui succéder étaient l’une et l’autre sincèrement royalistes aussi bien que constitutionnelles, et toute tentative révolutionnaire ou contre-révolutionnaire y eût été fortement réprimée. Les ordonnances du 24 juillet 1830 furent un acte absolument gratuit, suscité par les alarmes frivoles et la superstition du pouvoir personnel, qui régnaient dans l’âme du roi Charles X, non par aucun vrai danger de la royauté et de l’état. »