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serait un expédient de gouvernement, et que dans un moment d’agitation le roi pourrait abdiquer, sans que la royauté abdiquât avec lui.

Les paroles de M. Roy, quoique fort bien écoutées par le roi Charles X, ne le persuadèrent pas. Je me souviens que je vis M. Roy le jour de son départ du ministère, et qu’il me raconta son dernier entretien avec Charles X. M. le comte Roy avait toutes les grandes qualités d’un bon ministre des finances ; il était un homme d’affaires consommé plutôt qu’un orateur et un homme de lettres, quoiqu’il fût très lettré et qu’il aimât les lettres, comme tous les hommes du XVIIIe siècle. Ce jour-là, en me racontant cette conversation, il fut vraiment éloquent et touchant. Le pressentiment de la chute inévitable de la monarchie, qu’il aimait sans fanatisme, mais qu’il aimait sincèrement comme le régime qui avait ajouté à sa capacité et à sa fortune les honneurs mérités du pouvoir, seule chose qu’il eût à souhaiter, ce pressentiment donnait à ses paroles une émotion et une gravité singulières. Il croyait qu’il avait un instant ému Charles X, et il avait raison. Il l’émut assez pour le persuader de la sincérité de ses appréhensions, pas assez pour le convaincre de la vérité du danger, ou pour le faire douter de la nécessité de le braver.

Non-seulement c’était en vain que les plus fidèles serviteurs de la royauté constitutionnelle avertissaient le roi Charles X ; c’était en vain aussi que les chefs du parti libéral avaient réussi à retenir et à contenir l’esprit révolutionnaire. La France se refusait tant qu’elle le pouvait à faire la révolution vers laquelle la poussait le zèle irréfléchi de l’esprit contre-révolutionnaire. Elle s’en sentait capable, mais elle s’en sentait aussi effrayée. Elle laissait sagement reposer ses armes, et elle demandait au roi Charles X qu’aucune attaque imprudente ne vînt la forcer à les saisir pour se défendre. Les républicains eux-mêmes et les anciens conspirateurs des sociétés secrètes, MM. Bastide et Boinvilliers (ce dernier est aujourd’hui sénateur), convenaient dans les séances du comité Aide-toi, le ciel t’aidera « que le sort du roi était entre ses mains, et que, s’il restait fidèle à la charte, toute insurrection, toute conspiration, seraient folles, mais en même temps ils croyaient que la charte un jour ou l’autre serait, violée, et qu’alors les discours et les brochures légales devraient faire place aux coups de fusil[1]. »

Cette pensée de l’inévitable et énergique résistance du pays en cas de coup d’état, et d’une résistance qui irait au-delà de la simple défense, était alors dans tous les esprits, les plus ardens comme les plus modérés. Je trouve à ce sujet dans le Journal des Débats

  1. Histoire du Gouvernement parlementaire, t. IX, p. 460.