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vers lesquels on se tourne aujourd’hui. C’est là qu’est la différence fondamentale entre les effets de la peur en 1828 et en 1869. La peur en 1828 rattachait les timides à l’autorité d’un principe, celui de la légitimité, principe qui n’avait que la vitalité que donne la foi et qui était destiné à périr avec les générations croyantes, mais qui, tant qu’il vivait, prenait dans la foi même quelque chose de régulier et de paisible. La légitimité était un dogme politique et non un expédient. Le pouvoir qui s’appuyait sur ce dogme n’avait donc rien d’agité et d’inquiet ; il était très monarchique et point du tout dictatorial. On peut même dire sans paradoxe que, lorsque Charles X fit les ordonnances de juillet 1830, il ne crut point faire un coup d’état : aussi l’avait-il fort mal préparé ; il crut être dans l’exercice des droits de la royauté héréditaire, des droits de sa race et de son sacre. Il agissait, si je puis ainsi parler, sacerdotalement plutôt que militairement ; il faisait une bulle plutôt qu’un coup d’état. Cela est si vrai qu’il n’avait pris aucun soin pour désorganiser d’avance la résistance par l’arrestation des députés et des journalistes. C’était l’enfance de l’art, ou plutôt c’était une tout autre école que celle de nos jours.

Les timides de 1828 étaient donc à leur aise quand ils se rattachaient à la légitimité. Leur peur avait un recours honorable. Les timides de nos jours peuvent se plaindre que la marche progressive des événemens et des idées leur ait ôté ce recours : nous nous associons volontiers à ce chagrin ; mais personne ne peut faire qu’ils ne l’aient pas.

Seigneur, Laïus est mort ; laissons en paix sa cendre.


La légitimité, c’est-à-dire l’idée que les peuples appartiennent à une famille élue par la grâce de Dieu ou prédestinée au commandement par je ne sais quelle faveur de la Providence, cette idée est une des plus mortes et des plus enterrées dans le cimetière de l’histoire. Les timides de nos jours ne peuvent donc pas se dissimuler que, lorsqu’ils recourent à la protection du pouvoir, ils recourent non plus à une force morale, mais à une force matérielle. — La loi, dira-t-on, est une force morale. — Oui, tant qu’elle est crue, tant que la réforme n’en est pas demandée par l’opinion publique ; mais quand elle est mise en question, quand elle est déclarée réformable, la loi elle-même, si elle ne veut pas se laisser mettre en délibération, la loi ne se défend plus que par la force matérielle ; e le n’est plus que la protégée des soldats ou des sergens de ville, qui deviennent des prétoriens sans avoir été des soldats. Nous lisions dernièrement dans l’excellente et instructive Histoire du Gouvernement parlementaire, par M. Duvergier de Hauranne, une phrase curieuse et significative empruntée à un journal royaliste de 1826,