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faire après et de compte à demi avec l’Europe, qui s’y refusait, ce qu’il aurait fallu faire avant et faire seule.

J’ai montré les dangers et les maux inévitables attachés à l’obstination du pouvoir absolu. Pour n’avoir voulu rien céder de son gouvernement personnel devant la France et devant l’Europe à la fin de 1813, l’empereur Napoléon Ier a été forcé d’abdiquer l’empire. L’exemple de Charles X en 1830 est encore plus significatif.


II

L’infatuation du gouvernement personnel a gâté et perdu en Napoléon la grandeur du génie et l’éclat de la gloire, elle a gâté et perdu dans le roi Charles X le don toujours rare de l’honnêteté sur le trône ; elle a gâté surtout et perdu pour jamais la destinée bienfaisante de la restauration, qui avait le bonheur de n’être ni la révolution vaincue ni la révolution triomphante, évidemment, avec ses princes revenus, elle n’était point la révolution triomphante, et cela rassurait toute la portion timide et honnête du pays, c’est-à-dire la grande majorité de la France ; elle n’était pas non plus la révolution vaincue : la charte était le traité de paix signé entre l’ancien régime et la société nouvelle ; c’était enfin l’avenir de la restauration d’être en France l’ère de la liberté politique, c’est-à-dire de la révolution elle-même corrigée des abus de la force et consacrée par l’ascendant de l’hérédité monarchique.

Dans une de ses brochures, M. Guizot a dépeint de la manière du monde la plus vraie cette peur de la révolution mêlée au goût de la liberté qui fait le fond contradictoire des sentimens du pays. « Toutes les fois, depuis plus de trente ans, dit-il dans ses réflexions sur la session de 1828, qu’un mouvement libéral s’est manifesté en France avec quelque énergie, que l’esprit de la révolution a élevé un peu haut la voix, quelque légitime, quelque nécessaire même que fût son apparition, un sentiment de trouble et de crainte s’est emparé du gouvernement, quel qu’il fût, et d’une grande masse de citoyens, point partisans d’ailleurs de l’ancien régime ni de la tyrannie. Il en est aussitôt résulté soit une réaction positive contre le mouvement à peine commencé, soit un certain empressement indirect à l’atténuer, à l’émousser, à l’amortir, même en l’acceptant et le mettant à profit. » Il est impossible de citer ces paroles de 1828 sans faire un retour sur l’état actuel des esprits en France. Si la société de 1828 craignait 93, la société de 1869, je parle de la portion timide de cette société et la plus nombreuse, craint 1848. Je ne veux pas ici comparer en détail la société de 1828 avec la société de 1869 ; je compare seulement le genre de leurs peurs et surtout les genres d’autorité et de pouvoir vers lesquels on se tournait en 1828 et