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m’attaquer ? C’est moi qui suis le représentant de la nation. S’en prendre à moi, c’est s’en prendre à elle. J’ai un titre, et vous n’en avez pas… M. Lainé, votre rapporteur, est un méchant homme qui correspond avec l’Angleterre par l’entremise de l’avocat de Sèze. Je le suivrai de l’œil. M. Raynouard est un menteur. » En faisant communiquer à la commission les pièces de la négociation, Napoléon avait interdit à son ministre des affaires étrangères, le duc de Vicence, d’y placer celle qui faisait connaître à quelles conditions les puissances alliées étaient prêtes à traiter, ne voulant, lui, s’engager à aucune base de paix. Ainsi dans la situation la plus extrême, sous le coup des plus éclatans avertissemens de Dieu et des hommes, le despote aux abois faisait parade de pouvoir absolu. Sa dictature, son gouvernement personnel était toujours, dans sa pensée, le régime normal de la France. »

On voit qu’en 1814, dans les dangers suprêmes de la patrie, la France demandait à Napoléon au dedans la plus modérée des réformes libérales, au dehors une paix toute patriotique et toute nationale qui nous ramenât aux traités de Bâle, de Lunéville, d’Amiens, qui abjurât l’esprit d’envahissement et d’usurpation, et qui gardât à la France les conquêtes défensives de la république. Elle voulait soutenir l’empereur, mais elle voulait aussi le contenir, car, comme le dit énergiquement M. Thiers dans le dix-septième volume du Consulat et de l’Empire, « tout citoyen a le droit de dire à un gouvernement qui lui demande de grands sacrifices : Je ne vous aide pas à chasser l’ennemi du territoire pour trouver la tyrannie en y rentrant. »

L’empereur Napoléon Ier, dit-on, ne pouvait pas, d’une part, à ce moment, rendre la liberté à la France, parce que la liberté aurait amené une éclatante réprobation du gouvernement personnel de l’empereur, et surtout de sa passion la plus personnelle et la plus fatale à la France, la passion de la guerre ; — il ne pouvait pas non plus d’autre part faire la paix, parce que la paix qu’il eût pu alors obtenir eût été la confession et la pénitence publique de toutes les fautes de sa politique extérieure. — Si ces réflexions sont vraies, elles aboutissent à proclamer l’incompatibilité en 1814 de la France et de Napoléon et l’inévitable fatalité de la révolution. Puisque Napoléon ne voulait pas ou ne pouvait pas accepter une réforme dont les deux points principaux étaient la liberté et la paix, la séparation entre la France et Napoléon était inévitable ; mais qu’on ne s’en prenne pas à la France : c’est l’empereur qui a voulu cette séparation, c’est lui qui l’a rendue nécessaire. S’il avait accepté la réforme de son gouvernement personnel, cette réforme que la France et l’Europe réclamaient comme leur salut, il pouvait s’épargner