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lui, comme il s’est détaché lui-même des deux buts qu’avait atteints sa dictature : l’ordre rétabli à l’intérieur, l’Europe vaincue et reconnaissant la société créée en France par la révolution. C’était là la grande question de 1792 à 1802 et qui valait une guerre de dix ans ; mais, avant de se détacher de l’empereur et de le laisser tomber devant l’Europe, la France lui offrit par la bouche du corps législatif, réveillé au bord de l’abîme, de le soutenir par un dernier sacrifice de son sang. Elle demandait pour prix la liberté et la paix. Ce sacrifice fut refusé à cause du prix, le corps législatif renvoyé outrageusement, et les armées de l’Europe entrèrent à Paris. Ici laissons parler M. Guizot dans cette préface que nous aimons à suivre et à commenter.

« Le consulat, dit M. Guizot, avait été une dictature utile, nécessaire, glorieuse ; mais bientôt apparut dans le dictateur lui-même et autour de lui le dessein de faire sortir de ce régime accidentel et temporaire un système de gouvernement dogmatique et permanent… C’était trop peu de dominer en fait, il voulut dominer aussi en principe. Non content d’attaquer rudement et tout haut les idéologues, comme il appelait les théoriciens de la liberté, il eut ses propres idéologues, des théoriciens de l’autorité unique et souveraine. La dictature devint l’empire ; le pouvoir personnel enfanta le pouvoir absolu. — Les conséquences ne se firent pas longtemps attendre. Je n’ai nul goût à les rappeler ; mais la France a un intérêt suprême à ne jamais les oublier. En quelques années, malgré le génie et la gloire, le pouvoir absolu aboutit à la défaite, à l’impopularité générale de la France en Europe, à l’invasion étrangère, à la perte de toutes nos conquêtes, à la ruine de nos finances, au plus grand désastre national que la France ait jamais subi. Et c’était bien le pouvoir absolu, non pas seulement l’hérédité du pouvoir monarchique, qui était alors la prétention du régime impérial ; la question n’était pas entre la monarchie et la république, mais entre le gouvernement personnel et le gouvernement libre. » Le corps législatif de la fin de 1813, et M. Lainé, qui fut le rédacteur de son adresse, « n’avaient point, dit M. Guizot, d’hostilité préméditée ni d’engagemens secrets contre l’empereur ; ils ne voulaient tous que lui porter l’expression sérieuse du vœu de la France, au dehors pour une politique pacifique, au dedans pour le respect des droits publics et l’exercice légal du pouvoir. Leur rapport ne fut que l’expression modérée de ces modestes sentimens. Avec de tels hommes, animés de telles vues, il était aisé de s’entendre ; Napoléon ne voulut pas même écouter. On sait comment il fit tout à coup supprimer le rapport, ajourna le corps législatif,- et avec quel emportement, à la fois calculé et brutal, il traita, en les recevant le 1er janvier 1814, les députés et leurs commissaires. « Qui êtes-vous pour