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qu’ils deviennent des prétendans. Je n’ai point le cœur de peindre ces bacchanales sanglantes : on arriva à se battre dans les faubourgs et dans les rues de Rome, où il périt, selon les historiens, cinquante mille hommes, soldats, auxiliaires et plébéiens. Et les adulateurs du passé osent soutenir effrontément que l’empire était nécessaire pour clore les guerres civiles ! La lâcheté de Vitellius, son abdication vaine, le retour offensif de la multitude, l’incendie du Capitole, le supplice de Sabinus, qui avait négocié l’abdication, l’arrivée des lieutenans de Vespasien victorieux, la chute de Vitellius, ne méritent d’être mentionnés qu’à titre de faits. L’humanité apercevrait à peine dans ce confus spectacle quel est le châtiment des nations qui confient leurs armes à des mercenaires et se mettent à la discrétion du glaive. La fin même de Vitellius a quelque chose de si vil qu’elle est au-dessous de la pitié. À l’approche de l’ennemi, il se jette à bas de sa litière, il fuit, emmenant ses deux compagnons les plus chers, son boulanger et son cuisinier. Il se rend furtivement sur le mont Aventin, dans la maison que sa première femme lui avait apportée en dot. De là, il espère gagner Terracine, sachant que son frère a rassemblé quelques troupes de ce côté. Tout à coup se propagent des bruits de réconciliation, de paix générale. Il descend l’Aventin, prend l’escalier qui monte au Palatin, il parcourt la maison d’Auguste, celle de Tibère, la série des vastes constructions que Néron y avait ajoutées sur le Palatin et sur l’Esquilin. Tout est abandonné, silencieux, tous se sont enfuis, courtisans, gardes, affranchis, esclaves. Cette solitude pénètre Vitellius de terreur ; il se couvre d’un vêtement sordide, il remplit sa ceinture d’or, il espère s’esquiver et se mêler à la foule. Arrivé à la porte, il tend l’oreille : des cris lointains demandent sa mort. Éperdu, il rentre : selon Suétone, il se barricade avec des matelas dans la loge du portier ; d’après Dion Cassius, il se réfugie dans un chenil, où les chiens le mordent et le supportent. C’est de là que les soldats le tirent, les vêtement déchirés, tremblant, décomposé, essayant de mentir. Il est reconnu ; ses mains sont liées derrière son dos ; une corde est passée à son cou ; ses cheveux sont ramenés en arrière comme ceux d’un criminel ; on le traîne, la pointe d’une pique sous le menton, pour le forcer à lever la tête, les passans l’insultent et lui jettent des ordures au visage ; il voit sur sa route renverser et briser les statues qu’on lui avait dressées. Arrivé à l’escalier des gémonies, il est tué à petits coups, comme par des sauvages ; il rend l’âme au milieu des outrages de cette populace qui l’acclamait huit jours auparavant et s’opposait à son abdication. Son gros corps, dont l’âme avait été la servante, fut alors attaché à un croc et traîné jusqu’au Tibre.

Ainsi les trois tyrans militaires qui avaient occupé l’empire par