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douteux. Si une œuvre est saisissante par son caractère romain, si elle atteste une exécution qui est tellement propre aux artistes anciens qu’aucun artiste de la renaissance n’a pu en saisir le secret, c’est le Vitellius du Louvre. Les sculpteurs de la renaissance ont un système de plans déprimés, creusés, où ils font pénétrer la lumière pour obtenir la couleur et la vie. Le buste de Vitellius trahit une méthode exactement contraire : les plans ressortent, ils sont fermes, le modelé est soutenu. Non-seulement le principe d’exécution est opposé à toutes les habitudes de l’art moderne, mais on y sent le parfum antique, l’excellence de la tradition, un admirable sentiment de la vie prise par son grand côté, pour mieux faire saillir la personnalité et le trait intime. Qu’on demande à vingt artistes de signaler, parmi les bustes romains, celui qui s’est gravé dans leur mémoire comme un chef-d’œuvre resplendissant, ineffaçable, presque tous désigneront le Vitellius.

Les trois césars éphémères qui ont été jetés en quelques mois du néant au trône et du trône à la mort ont eu la singulière fortune de laisser d’eux à la postérité des portraits saisissans. Ils succédaient à Néron. Or Néron avait employé les artistes les plus habiles de l’Étrurie, de la Grèce, de Rome, et surtout Zénodore, célèbre dans l’art de travailler le bronze ; il les avait forcés à faire encore des progrès par l’abondance des œuvres qu’il leur commandait et par ses exigences. Les sculptures qui ornaient la Maison dorée, les statues commandées par l’empereur, devaient être dignes d’un dieu, car si le dieu n’était pas content, il y allait de la vie. Après Néron, chaque révolution suspendit les travaux ; chaque avènement produisit de nouveaux bustes et de nouvelles statues. Il en fallut pour les monumens publics, pour les lieux consacrés, pour le camp prétorien, pour le prétoire des armées, pour les villes et les municipes de l’empire. Coup sur coup, d’après l’original ou d’après les images en cire que tout personnage laissait dans son atrium en partant pour la frontière ou pour son gouvernement, Zénodore et ses compagnons copièrent, embellirent, répétèrent à l’infini les traits osseux de Galba, la douceur éginétique d’Othon, la graisse fleurie de Vitellius. Les changemens étaient si rapides que les marbres de Paros et du mont Pentélique furent bientôt épuisés dans les magasins. On prit alors ce qui s’y trouvait, car on n’avait pas le loisir d’attendre que les navires allassent en chercher en Grèce. C’est ainsi qu’un morceau de marbre de l’Hymette s’est trouvé sous le ciseau ; c’est ainsi qu’il nous a transmis l’admirable création d’un talent inconnu ; c’est ainsi que Vitellius, le plus vil des empereurs et le plus méprisé de la postérité, a inspiré l’art romain mieux que les capitaines illustres et les hommes de bien.

Ce fut en effet un triste souverain, que la liberté de satisfaire ses