Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ambitieux qui agite des desseins funestes à sa patrie fût amené devant cette porte ouverte, contemplât longuement ce spectacle, et en gardât dans son cœur l’admirable moralité.


III

Vitellius est passé à l’état légendaire, tant sa renommée est abjecte. Il est vrai que l’attention du vulgaire s’attache surtout à l’extérieur et qu’il est plus sévère pour les ridicules du corps que pour les lèpres de l’âme. On conçoit qu’un peuple, quand il a accepté le principe d’hérédité, se résigne aux fantaisies de la nature, qui sème dans une race les princes charmans et les princes grotesques ; mais comment l’élection libre peut-elle se porter sur des personnages qui sont plus dignes de servir de bouffons au bout d’une table que de commander au monde ? L’explication est courte : c’est qu’une telle élection a été faite par une armée. De toutes les agglomérations d’hommes, l’armée est celle qui pense le moins, parce qu’elle est faite pour agir, et qu’on dupe le mieux, parce qu’elle ne doit avoir d’opinion politique que devant l’ennemi.

Selon le témoignage de Cassius Sévérus, historien grave, Vitellius avait pour trisaïeul un savetier, pour bisaïeule une boulangère qui apporta dans la famille quelque aisance et fit souche de chevaliers. On peut descendre d’un savetier, n’en point rougir et faire un excellent administrateur. Il semble toutefois que les Romains avaient encore là-dessus un reste de préjugé, car lorsque Quintus Vitellius devint intendant du fisc sous Auguste, il fut enchanté de faire entendre à ses amis un astrologue, du nom d’Eulogius, qui rattachait sa généalogie avec une lucidité merveilleuse à Faunus, roi des aborigènes, et à Vitellia, nymphe du temps. Les malins se cachaient déjà pour rire et répéter que Faunus raccommodait des sandales, tandis que la nymphe Vitellia frottait ses petits pains avec de l’huile pour les offrir plus luisans aux acheteurs.

Le père de Vitellius joue un rôle dans l’histoire, celui de plat courtisan. Il prostitue soh fils à Tibère, n’aborde Caligula que la tête voilée et en se prosternant comme devant un dieu, offre des sacrifices aux statues de Narcisse et de Pallas, placées parmi ses dieux lares, porte sous sa toge un brodequin dérobé à Messaline qu’il baise avec ostentation en public, et, lorsque Claude célèbre des jeux qui ne se renouvelaient que tous les cent ans : « Puisses-tu, s’écrie Vitellius, les célébrer souvent ! » De si hauts sentimens lui valurent le consulat, une statue aux rostres, des funérailles aux frais de l’état.

Le fils avait suivi timidement les traces paternelles. Après avoir