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chaque génération ; tous les actes peuvent être appréciés par chaque individu. Nous pouvons admirer le talent, mais discuter le témoignage de Tacite ou de Plutarque, croire aux événemens qu’ils racontent, mais nier les conséquences qu’ils en tirent, être charmés de l’éloquence avec laquelle ils exposent leur opinion, mais nous former une opinion exactement opposée. Il ne faut pas confondre les historiens et l’histoire. Ce que nous demandons aux historiens, c’est la vérité ; ce que nous cherchons dans l’histoire, c’est la morale : or, si la vérité se tire uniquement des témoins, la morale se tire uniquement de nos consciences.

Aussi toute conscience honnête se réjouira-t-elle d’assister à l’agonie d’un césar éhonté qui expie ses vices et sa courte aventure. Cette mort, que les indifférens trouvent douce, les juges attentifs l’estiment atroce : ce n’est plus une délivrance, c’est un châtiment. Que d’autres passent légèrement sur les deux jours qu’Othon a traînés à Brixellum ! Ces jours ont été pour lui si pleins d’angoisses qu’ils ont valu des siècles. D’abord l’attente pendant la bataille où son sort se joue, les nouvelles contradictoires, les espérances déçues, la terreur, la défaite certaine qu’un messager atteste en se perçant le cœur ; puis l’arrivée des blessés, les gémissemens, les vains projets, le cercle où la pensée tourne sans issue, la main de la nécessité s’appesantissant sur une tête mûre pour le supplice. Fataliste comme la plupart des Romains de la décadence, Othon s’est résolu à la mort ; mais il ne se résout ni à l’abandon ni à ces fausses trahisons qui sont les pires parce qu’elles se cachent sous les dehors de la pitié. En vain sa chambre reste ouverte tout le jour. Les soldats entrent, sortent, lui parlent, le contemplent en silence ; aucun ne vient à son secours, aucun ne fait mine de l’emporter de force sur ses épaules pour retourner au combat. Ils n’ont que trop de respect pour le projet qu’il annonce ; découragés, les plus fidèles se bornent à promettre qu’ils se frapperont en même temps que lui. Les prétoriens entourent encore leur idole, mornes, semblables aux prêtres égyptiens qui voient expirer leur bœuf Apis et se préoccupent d’en trouver un autre. Les heures chassent les heures sans que leur cerveau enfante rien de viril, d’imprévu, d’énergique. La nuit succède une seconde fois au jour. Othon tend l’oreille vers l’inconnu ; il ne sonde que le néant. Cet immense univers, dont il avait cru s’emparer, le regarde tomber sans s’émouvoir et sans même lui offrir un refuge ; écrasé par les suites de son premier attentat, acculé par sa lâcheté même, délaissé par ses amis, gardé plutôt que consolé par ses mercenaires qu’il méprise, il faut que le coupable soit châtié, qu’il s’exécute de ses propres mains et que lui-même soit son bourreau. Voilà le drame vrai ! voilà l’enseignement ! voilà le doigt de la Providence ! Je voudrais que