Pourquoi ces lettres sont-elles perdues ? pourquoi les archives du Palatin n’ont-elles pas conservé sous leurs ruines ces tablettes d’ivoire faites pour édifier les siècles futurs ? Othon proposait d’abord à Vitellius, s’il faisait sa soumission, des palais, des villas et des revenus propres à satisfaire la gloutonnerie la plus raffinée ; Vitellius offrait à Othon des trésors immenses, s’il renonçait à l’empire, les mêmes richesses, un repos magnifique et toutes les voluptés. Leurs secondes lettres étaient plus âpres ; de mutuels refus en avaient modifié le ton. Ils s’y traitaient de poltrons, de débauchés, d’impudens, de misérables ; c’était l’épanchement sincère de deux héros qui se connaissaient bien. La diplomatie ne pouvait aller plus loin ; ils finirent, au lieu de lettres, par s’envoyer des assassins. Les émissaires d’Othon furent trahis par leur teint pâle et leur figure étrangère au milieu des soldats du Rhin, à la peau basanée, et qui s’appelaient tous par leur nom. Les émissaires de Vitellius se perdirent au milieu de la foule qui remplissait Rome ; mais ils ne purent même pénétrer au Palatin, tant les prétoriens faisaient bonne garde.
En vérité, si les armées qui étaient en présence à Bédriac avaient eu un peu de patriotisme ou seulement un peu de bon sens, elles auraient confondu leurs rangs, laissé de côté les deux aventuriers qui restaient à l’écart en les mettant aux prises et nommé de concert un chef dont elles n’eussent point à rougir. Le fer était tiré, les esprits étaient enflammés, les légionnaires, fiers de leurs campagnes et de leurs blessures, voulaient en finir avec la garde impériale, corps privilégié qui n’avait eu de courage que contre les proscrits, qui obtenait toutes les faveurs, à qui étaient réservées perpétuellement les délices de Rome. Quand les appétits de la vengeance ont fermenté dans des masses aussi grossières, tout leur est bon comme drapeau, fût-ce la botte de paille portée au bout d’une fourche qui servait, dit-on, de ralliement aux contemporains de Romulus.
Tacite a raconté cette guerre honteuse, l’impuissance des lieutenans qui la devaient conduire, la rébellion, les dévastations, les escarmouches, les retraites, l’agitation désordonnée, le choc définitif d’une soldatesque qui ne cherchait qu’à se prendre corps à corps. L’histoire n’aurait rien perdu, si elle eût recouvert d’un voile des détails avilissans pour l’humanité, stériles pour l’avenir. La seule joie pour les cœurs honnêtes, c’est de voir tailler en pièces quelques cohortes de prétoriens ; encore la plupart montrèrent-ils qu’autant leur langage était plein de jactance et leur costume magnifique, autant leurs pieds étaient légers. Ils laissèrent battre, en brèche et tomber sur place comme une muraille les légions de gladiateurs qu’Othon avait loués aux entrepreneurs de jeux ; sous leur