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se dresse sur un lit de festin, adresse à ses redoutables défenseurs les supplications les plus touchantes, et ne réussit à les calmer qu’en leur promettant 5,000 sesterces par tête.

Voilà donc à quels maîtres les Romains se trouvaient adjugés ! Après les douceurs d’une servitude dorée, voilà les horreurs de la guerre civile ! Ce ne sont plus seulement les riches et les nobles qui sont proscrits aux applaudissemens d’une multitude que les empereurs gorgent de leurs dépouilles, c’est la cité entière qui va être assiégée. Ce ne sont plus les soldats de Néron qui sèment de leurs os la forêt de Teuteberg, ou les soldats de Caligula qui rapportent les trophées risibles de leur risible expédition ; la mort, la faim, le pillage, frappent aux portes de la reine du monde. Les légions redoutables qui descendent du nord de l’Europe ont perdu jusqu’au souvenir de leur patrie ; elles traînent à leur suite des hordes d’auxiliaires levés à la hâte chez les Bataves, chez les Gaulois, chez les Germains. Tous ces barbares se précipitent sur l’Italie, altérés de sang, pleins de mépris pour Vitellius, mais sachant que ses aigles les conduisent au sac de Rome. Impuissans, désarmés, sans lien, les citoyens, qui ne connaissent plus que les combats de l’amphithéâtre, vont rester spectateurs d’un combat autrement terrible dont ils sont l’enjeu. La politique d’Auguste a dissous les forces sociales, substitué à la pensée d’un peuple la pensée d’un despote ; les Romains, en renonçant à leurs devoirs les plus sacrés, ont renoncé même au droit de se défendre. Ils ont abdiqué devant les césars ; ils sont énervés devant l’ennemi. Proie des plus vils tyrans, ils seront justement la proie des conquérans et des barbares qui veulent leur donner l’assaut. Qu’ils aillent gémir dans les temples, s’étourdir dans les festins, tandis que la Fortune jette les des contre eux sur le champ de bataille ! Les soldats seuls sont libres, parce qu’ils tiennent le glaive ; l’anarchie militaire règne seule, parce que les empereurs l’ont préparée ; les armées permanentes ont seules des champions, parce qu’elles ont besoin d’un prétexte pour voler à la curée. Et quels champions ! Est-ce un Marius ou un Sylla, est-ce un César ou un Pompée, capables d’exposer leur poitrine à la mort et d’inspirer quelque fanatisme aux milliers d’hommes qui s’égorgent pour eux ? Non, ce sont les deux êtres les plus lâches, les plus dissolus, les plus méprisés de l’empire, l’un rebut de la cour de Néron, l’autre glouton déjà célèbre dans l’univers par sa bestialité ; l’un qui se cache derrière les murs de Brixellum, l’autre qui s’attarde à dévorer les vivres de plusieurs provinces, tandis que leurs légions se heurtent dans les plaines de Bédriac. Ces adversaires si bien appareillés avaient montré d’ailleurs une diplomatie digne de leur courage. Tandis que leurs armées se préparaient, ils s’étaient mutuellement adressé des lettres.