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de conquérir tout un peuple à la foi du Christ ; la pauvre enfant ne pouvait maîtriser les violentes répugnances de son cœur. Lors de la première ambassade lithuanienne, au mois de janvier, elle s’était bornée à rappeler qu’elle était déjà promise à un autre, au duc Guillaume d’Autriche, et elle avait fait tout dépendre de la décision de sa mère, régente en Hongrie. A mesure qu’avançaient les négociations, ses terreurs augmentaient. La mère régente, au fond très désireuse du mariage lithuanien, mais de toutes parts entourée de dangers et pour ainsi dire couchée en joue par la maison d’Autriche, ne donnait que des réponses évasives et contradictoires ; le dernier avis venu de Bude était même favorable au prétendant allemand. Forte de cette réponse, Hedvige se retrancha derrière la volonté de sa mère, le vœu du roi Louis, l’engagement pris depuis si longtemps avec un autres Au moyen âge, les fiançailles étaient considérées comme sacrées, et avaient presque la même force que le serment nuptial ; or Hedvige avait été fiancée dès sa septième année, par son père le roi Louis, au duc Guillaume d’Autriche ; les fiançailles avaient été publiques et splendides. Ces fiançailles d’Haimbourg, Hedvige les opposait désormais à toutes les démarches pressantes des hauts dignitaires de la couronne et des nonces de la diète. Le souvenir vague du gracieux adolescent entrevu autrefois à Haimbourg et à Vienne, et qui maintenant avait déjà seize ans, entrait-il pour quelque chose dans cette attitude ? Nous l’ignorons ; mais il est sûr que ce souvenir se ranima singulièrement, et éclata en flammes aussitôt que l’adolescent eut apparu en personne devant la fille des Piast.

Il parut en effet à Cracovie vers le milieu de l’été de cette année 1385, le prince charmant, la fleur de la chevalerie, « l’élégant duc Guillaume, » ainsi qu’on l’appelait alors ; il arrivait avec un cortège brillant où l’on voyait de beaux compagnons, des musiciens, des minnesängers et des costumes somptueux. Il ne put habiter le château, cette magnifique forteresse royale qui dresse ses tours sur le rocher de Wawel, et regarde de là-haut coule la fistule à ses pieds. Le castellan Dobieslaw et les grands du royaume lui interdirent l’entrée de la pompeuse, demeure des souverains, et il dut se loger dans la ville basse ; mais il n’y avait pas moyen d’empêcher la rencontre des « fiancés » sur quelque point neutre, dans le vaste réfectoire du couvent des franciscains par exemple, que les bons moines leur prêtèrent avec empressement. Guillaume s’y rendait presque tous les jours avec ses chevaliers, ses chanteurs et ses musiciens ; la jeune reine y arrivait de son côté avec ses demoiselles de la cour, ses chambellans et ses pages. Polonaise, Hongroise, Française à la fois, de plus bien resplendissante et bien heureuse de ses quatorze printemps, que vouliez-vous que fit