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qu’il était à bout d’expédiens, et que mieux valait périr sous le fer de ses ennemis dans un combat que sous les poursuites de ses créanciers dans le Forum. »

Rien dans l’histoire n’égale l’impudence froide de ce viveur qui n’avait ni le tempérament, ni le génie, ni l’allure d’un ambitieux. De même que certains assassins allèguent la faim pour excuse, de même Othon devient un scélérat pour échapper à la misère. Il ne prévoit point les malheurs publics qu’il va causer ; il ne voit que ses dettes. Il ne recule ni devant le sang, ni devant la guerre civile ; il recule devant ses dettes. Il n’a point d’orgueil, point d’amour de la domination ; il a des dettes. Il n’a ni plan, ni projet, ni parti ; il n’a que des dettes. En vérité, c’est une puissance singulière, au milieu de l’apathie des honnêtes gens, que l’absence de sentiment moral ! Rien ne ressemble plus à de l’héroïsme que cette placidité d’un jeune libertin déshonoré, dissolu, cynique, gangrené jusqu’au fond de l’âme. Il méritait en effet l’admiration du sophiste Plutarque et l’honneur de figurer parmi ses hommes illustres, car il est un des exemples significatifs de ce que peut en politique une corruption précoce, l’oubli de tous les devoirs, la destruction de la conscience et la sérénité de l’égoïsme.

Sa taille et son extérieur n’avaient rien qui séduisît la foule. Il était petit ; ses jambes étaient tordues, ses pieds mal faits (male pedatus, dit Suétone, vilain mot qui peint une vilaine chose). Il essayait de racheter ces défauts par un soin minutieux de sa personne ; il avait une coquetterie raffinée : il se faisait épiler des pieds à la tête, se rasait de très près et se frottait la peau avec du pain trempé afin de ne plus ressembler à un homme. Chauve de bonne heure, il portait une perruque si habilement ajustée que tout le monde y était pris. On distingue toutefois cette perruque sur ses monnaies d’or et d’argent, jadis si rares : quatre rangs de boucles symétriquement disposées forment un encadrement qui empiète sur le front. Néron faisait disposer ses cheveux de la même manière pendant les premières années de son règne ; ses monnaies et certains bustes en font foi. Othon, qui réglait la mode de la cour, avait su transformer en nouveauté élégante les nécessités de son déguisement.

Une statue du Louvre représente Othon dans une attitude héroïque, nu, le manteau enroulé autour du bras, la main gauche appuyée sur la hanche. La tête est conforme au témoignage officiel de la numismatique ; mais elle a moins de mérite que le petit buste qui est voisin, et qui est plein de charme. Le sculpteur évidemment a vu son modèle sous son jour le plus favorable ; il a travaillé un beau marbre avec un soin amoureux ; il lui a donné une expression si naturelle et si persuasive qu’on y sent revivre le personnage. C’est