Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subir le règne entier d’un homme de bien ? L’empire, qui était une perpétuelle débauche, va-t-il se transformer en un perpétuel ennui ? faudra-t-il se résigner à une servitude sans plaisirs, sans fêtes, sans spectacles, sans prodigalités, sans orgies ? Ce fut le coup de grâce pour Galba. Il poussa la démence jusqu’à présenter son successeur aux prétoriens et ne leur promettre aucune distribution d’argent : il était perdu. Le jour de l’adoption de Pison, la conjuration était ourdie ; six jours après, la révolution était faite, mais quelle révolution ! Une secousse suffit pour renverser un trône sans appui et précipiter sur le coup mortel le vieillard et l’adolescent qui jouaient innocemment les rôles de césars. Un affranchi et deux bas officiers transférèrent l’empire. L’affranchi s’appelait Onomaste : il appartenait à Othon, ancien gouverneur de Lusitanie, qui avait compté se faire adopter par Galba. Déçu dans cet espoir, Othon laissa faire son affranchi, plus résolu et plus capable que lui. Le coup, d’état ne coûta que 200,000 fr. ; Othon ne les avait pas, il les tira d’un esclave de Galba, à qui il fit obtenir une charge d’intendant. Avec cette somme, Onomaste acheta deux officiers subalternes, Barbius Proculus et Véturius, ainsi que vingt-trois soldats prétoriens : il n’en fallut pas davantage pour disposer du sort de l’univers.

C’était le 15 janvier. Galba offrait un sacrifice sur le Palatin : Othon, en zélé courtisan, y assistait. Soudain Onomaste paraît et fait un signe à son maître. Celui-ci dit à l’empereur qu’il veut acheter une vieille maison et que les architectes l’attendent pour son expertise. Il s’éloigne, passe sous la maison de Tibère par le corridor souterrain qui débouchait sur le Vélabre, en face du Capitole, il descend au Forum, et trouve autour du milliaire d’or les vingt-trois prétoriens, qui le proclament césar, tirent leurs épées et l’entraînent vers le camp. Terrifié par leur petit nombre, Othon ne peut cacher son trouble, ses jambes défaillantes se refusent à le porter. Les soldats le jettent dans une litière de femme, le chargent sur leurs épaules, et reprennent leur course, poussant des clameurs qui font retentir les rues populeuses de l’Esquilin. Les passans se rangent étonnés, quelques prétoriens errans se joignent à leurs camarades ; le flot grossit ; on arrive au camp construit par Séjan, refuge et citadelle de la tyrannie. Là, quelques paroles et une promesse d’argent suffisent pour décider une armée qui déteste Galba : elle salue le nouveau césar, l’établit au prétoire, c’est-à-dire au quartier-général, et se serre en tumulte autour de lui.

Pendant ce temps, Galba continuait à fatiguer les dieux de ses prières pour un empire qui déjà ne lui appartenait plus. Bientôt la nouvelle se répand : la foule se précipite sur le Palatin, elle dénonce les conjurés, elle réclame leur mort à grands cris, elle assiège la