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chevaliers étaient rançonnés sans justice, condamnés sans procès, exécutés sans témoins, c’est-à-dire assassinés. Les chevaliers, plus riches que les sénateurs et par conséquent plus frappés, étaient en outre indignés d’un affront qui rejaillissait sur l’ordre tout entier. Icélus, l’esclave à peine échappé des fers, Icélus l’infâme, prétendait au rang de chevalier, avait reçu le nom de Martianus, et portait l’anneau d’or.

Le peuple vivait dans la tristesse. L’empereur était parcimonieux, il donnait peu de jeux, il ne faisait pas de distributions. Gagner son pain par le travail était une dure nouveauté, ou, si les journées se consumaient dans l’oisiveté, elles paraissaient longues, sans plaisirs, partagées entre la misère et l’ennui. Après les fêtes perpétuelles de Néron, il était cruel de ne plus passer sa vie dans les cirques et les amphithéâtres, qu’on ne quittait alors que pour aller recevoir d’abondans congiaires. Le peuple méprisait cet avare, qui lui avait servi jadis, au lieu de chasses ruineuses, un éléphant dansant sur la corde, ou qui donnait 5 deniers de gratification à l’admirable Canus. A la représentation des atellanes, qui ne coûtait presque rien, le peuple se vengeait en se tournant vers Galba pour lui répéter en chœur ce vers que l’acteur venait de prononcer : « le vilain revient, hélas ! de sa campagne. »

Les amis de Néron (ils étaient nombreux) étaient exaspérés. Galba les poursuivait et les forçait de rendre gorge. Néron, pendant les dernières années de son règne, avait distribué environ 800 millions à ses flatteurs, à ses affranchis, aux chanteurs, aux histrions, aux baladins. Galba avait institué un tribunal composé de trente chevaliers qui faisait rapporter, les sommes reçues, et, quand ces sommes avaient été dépensées, mettait en vente les biens, les maisons, les meubles des détenteurs. La moitié de Rome était à l’encan, l’autre moitié achetait à bas prix ; les rues étaient pleines d’objets offerts à la criée, de gens sans asile, de femmes en larmes. Les ennemis de Néron de leur côté n’étaient pas plus satisfaits. Ils avaient réclamé en vain le supplice de Tigellinus et d’Halotus, l’un préfet du prétoire, l’autre eunuque favori sous Néron, Galba, ne voulant point ouvrir l’ère des représailles, retenu d’ailleurs par les supplications des pédagogues, exposés bientôt aux mêmes retours de la fortune, avait refusé. Il avait gourmande dans un discours ceux qui réclamaient la tête de Tigellinus et couvert Halotus de l’autorité impériale en le faisant partir comme procurateur.

Les courtisans eux-mêmes étaient mécontens. Où étaient le luxe, la munificence, la représentation, dignes d’un empereur ? Une vie chiche, des mœurs étroites, une sobriété bourgeoise, l’affectation de la pauvreté, convenaient mieux à un obscur plébéien qu’au maître de l’univers. Les femmes et les jeunes gens étaient plus