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rendaient par le mot aduncus (en forme de croc) ; les lèvres saillantes, bordées par des arêtes vives, comme sur un buste de métal ; le menton proéminent et raide, les joues creuses et desséchées, les yeux caves, d’un bleu terni, encadrés par des sourcils sous lesquels l’os perçait et faisait sentir son tranchant, le front bas, contracté, plein de rides, n’offrant plus qu’une boîte osseuse ; les oreilles grandes, écartées ; le cou décharné comme le cou d’une tortue, plein de galons et de peaux. Cette tête sèche, rigide, qu’on eût dite sculptée dans un bois noueux, rappelait les vieux montagnards de la Sabine contemporains de Caton, vivant d’épargne, buvant leur piquette, connaissant les lois et surtout les procès, entendus en affaires, âpres au gain. Tout ce qu’exprimait le visage était correct, honnête, étroit, tenace, sans attrait, sans élévation, sans générosité ; tout était resserré par la vieillesse et pour ainsi dire appauvri.

Les peuples asservis sont comme les valets : ils lisent avec une intuition merveilleuse dans l’âme de leur maître, et savent du premier coup ce qu’ils doivent en attendre ou en craindre. Galba déplut donc aux Romains ; ses qualités les choquaient autant que ses défauts, parce qu’ils y voyaient plus de menaces que de promesses. Un tableau rapide peut retracer ce qu’a fait Galba et quel est l’état des esprits après un essai de règne qui a duré la moitié d’une année. Le sénat, d’abord enchanté de la déférence du nouvel empereur, s’était refroidi. Il se voyait avec chagrin sans rôle et sans influence, parce que des favoris s’étaient emparés de Galba. Ce vieillard, dont la volonté était déchue, abandonnait le gouvernement à trois créatures qui étaient plus que des ministres. Icélus, son affranchi et son ancien mignon, Titus Vinius, son lieutenant quand il gouvernait la Tarragonaise, Cornélius Laco, son ancien assesseur, qu’il avait fait chef des prétoriens, étaient les véritables maîtres de l’empire. Ils soulageaient du fardeau des affaires une âme indécise, indifférente ou fatiguée, abusaient de sa confiance, trompaient sa vigilance, détournaient ses bonnes intentions. Ils formaient un véritable triumvirat, comme les césariens sous Claude : seulement on les appelait les pédagogues, parce qu’ils régentaient en effet ce grand enfant de soixante-treize ans. Malhonnêtes, avides de jouissances, pressés par le temps, affamés d’or et sans lendemain, ils vendaient, volaient, dilapidaient, faisaient marché des honneurs et des grâces. C’était une curée sans pudeur que Galba ignorait et qu’il couvrait de son intégrité. Les exactions, les confiscations, les meurtres, avaient recommencé. Les sénateurs et les