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titre, la plupart de nos jeunes chimistes adoptent résolument le principe de l’atomicité ; ils s’en servent comme s’il était absolument vrai, sauf à le manier d’une main délicate et à ne pas y chercher brutalement la raison de toutes choses. Ils sentent bien que le nouveau principe qui se présente maintenant comme une sorte de postulatum, comme une vérité irréductible, devra sans doute se transformer lui-même et se réduire en d’autres données quand on aura des idées plus précises sur la constitution des molécules, quand la mécanique moléculaire sera plus avancée. Telle nous paraît être surtout la portée des réserves que nous signalions à l’instant. Dès maintenant toutefois, nos auteurs trouvent dans l’atomicité de telles lumières pour interpréter les propriétés des corps, pour en prévoie les réactions et les métamorphoses, qu’ils se regardent comme certains d’avoir fait un progrès important dans la connaissance intime de la matière.

Est-ce à dire que la théorie de l’atomicité règne aujourd’hui sans partage dans la science ? Les choses n’en sont point là. Il y a encore parmi les savans les plus autorisés quelques partisans déclarés de la théorie de Lavoisier. Il y a d’autres chimistes qui, tout en abandonnant les anciennes doctrines, refusent d’accepter les nouvelles, et ne reconnaissent pour le moment aucune idée générale qui soit de nature à guider les investigateurs. On peut prévoir pourtant que le principe de l’atomicité ne tardera point à s’élever au-dessus de ces résistances et de ces doutes. Déjà la doctrine nouvelle paraît prédominer dans l’enseignement supérieur. Elle fait son stage avant de s’introduire dans l’enseignement classique. Pour franchir ce dernier pas, il est une condition qu’elle doit se mettre en mesure de réaliser. Il faut qu’elle crée une nomenclature apte à remplacer l’admirable langage inauguré par Guyton de Morveau et Lavoisier. Ce n’est pas là une petite affaire. Les partisans de l’atomicité s’en sont bien occupés ; mais ils n’ont jusqu’ici entrepris cette œuvre qu’avec une certaine mollesse. Sans doute il leur est difficile de rompre complètement avec le passé ; il y a des compromis de langage auxquels ils sont obligés d’avoir recours pour se faire comprendre. Il est certain cependant que la doctrine est dès maintenant assez avancée pour arborer résolument une nomenclature entièrement nouvelle. Ce sera là le signe le plus éclatant et sans doute aussi l’instrument le plus actif de son succès.


EDGAR SAVENEY.