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Cette réforme des poids atomiques était une sorte de manœuvre de guerre dont Gerhardt usait pour ruiner les formules dualistiques de Berzélius. Ces fameuses formules en effet n’étaient plus viables, s’il y fallait dédoubler des atomes, et Gerhardt triomphant venait opposer au dualisme ébranlé un nouveau système de formules unitaires. Pour lui, un sel minéral ne résulte pas de la combinaison d’un acide et d’une base ; les acides et les sels offrent la même composition. Les acides sont formés d’un bloc d’atomes unis à de l’hydrogène ; dans le sel, un atome d’hydrogène a été remplacé par un atome de métal. Ainsi le rôle prépondérant que Lavoisier avait assigné à l’oxygène se trouvait complètement effacé ; ce gaz cessait d’être la clé des corps. On pouvait dire que l’hydrogène le remplaçait dans cet emploi, mais à la condition d’entendre d’une façon fort différente la fonction des deux gaz, car Gerhardt, — - nous parlons ici de la première partie de sa carrière scientifique, — refusait absolument de considérer aucun groupement intérieur dans les molécules. Dans son Précis de chimie organique, qui est le premier jet de ses idées, il rangeait tous les corps en progression ascendante par la seule considération du nombre d’atomes de carbone contenus dans leur molécule, les composés les plus simples formant la base, les plus compliqués le sommet de cette immense échelle. Il y avait là sans doute un excellent principe de classification ; mais Gerhardt l’appliquait avec une inflexibilité farouche, avec une véritable furie de réaction, et il arrivait ainsi à rapprocher des corps que leurs propriétés auraient dû placer fort loin l’un de l’autre.

Ces premiers travaux de Gerhardt ont leur importance, ils ont laissé dans la science des traces profondes ; mais ce que nous avons surtout à mettre ici en lumière, c’est l’idée fondamentale à laquelle il consacra la seconde partie de sa vie, nous voulons parler de la théorie des types. Cette théorie marque la phase décisive de l’évolution scientifique dont l’histoire nous occupe. Si Gerhardt n’a pas créé de toutes pièces l’idée des types chimiques, il a eu le mérite de la généraliser, et c’est lui qui en a fait le drapeau de l’école nouvelle. Qu’est-ce que cette école désigne sous le nom de types chimiques ? On en aura une idée suffisamment nette, si nous montrons comment ils se sont constitués l’un après l’autre et comment ils se sont réunis successivement en une sorte de cadre capable d’embrasser la chimie tout entière. C’est ainsi en effet que la théorie s’est faite. Ce n’est point un chimiste qui a imaginé une série de types avec l’intention arrêtée d’y faire entrer tous les corps. Un premier type a été mis au jour, puis un second, puis un troisième, et avant même que l’on en eût quatre on a pu constater que l’on se trouvait en présence d’un système général.