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titre à l’estime des chimistes. Cette théorie fut produite par Laurent dès son début dans la carrière. Répétiteur du cours de chimie professé à l’École centrale par M. Dumas, il avait adopté avec ardeur l’idée des substitutions, telle que nous l’avons exposée précédemment. C’est sous cette influence qu’il entreprit une série de recherches sur la naphtaline. Il étudia avec soin comment le chlore, le brome, l’oxygène, s’introduisent dans une molécule, chassant l’hydrogène équivalent par équivalent. Tantôt l’hydrogène éliminé sort complètement de la molécule ; tantôt il y reste engagé à l’état d’acide chlorhydrique, d’acide bromhydrique ou d’eau, formant ainsi une sorte de complément qui s’ajoute à l’édifice moléculaire. Dès l’année 1836, Laurent avait réuni ses diverses observations en un corps de doctrine, et il le produisit en 1837 dans la thèse qu’il soutint devant la faculté des sciences de Paris. Les molécules organiques, suivant lui, sont formées en principe de noyaux ou squelettes où n’entrent que des atomes de carbone et d’hydrogène ; ce sont là les noyaux fondamentaux. Quand des corps simples, comme le chlore, le brome, l’oxygène, viennent se substituer à l’hydrogène, il en résulte des noyaux dérivés ; des corps composés, des espèces de radicaux, peuvent même se comporter à cet égard comme des corps simples et venir s’insérer dans le noyau en prenant la place d’un seul atome. Chaque noyau fondamental forme avec ses dérivés une sorte de famille chimique, distinguée par quelques propriétés spécifiques ; les petites variations que ces propriétés subissent dans les divers dérivés d’une même famille dépendent des corps simples qui caractérisent ces dérivés. Notons que voilà une idée importante qui s’introduit dans la chimie et qui y restera ; c’est une idée dont nous avons vu déjà le germe dans les premiers travaux de M. Dumas, mais qui reçoit de Laurent un essor tout nouveau. « L’oxygène, avait dit Lavoisier, est la cause de l’acidité, et de même tel ou tel corps simple a des propriétés spéciales qui déterminent celles des composés où il entre. » Sans nier ce principe, Laurent le relègue au second rang. La forme même, l’architecture de la molécule en détermine les propriétés principales, qui persistent malgré les substitutions tant que la forme générale n’est point altérée. A côté des propriétés qui tiennent aux élémens, il faut donc placer un autre ordre de propriétés qui tiennent à la structure moléculaire. C’est à Laurent que revient surtout l’honneur de cette conception à laquelle les chimistes se sont maintenant habitués et qui joue dans leurs théories un rôle considérable. Laurent cherchait d’ailleurs, dans sa thèse de 1837, à marquer par une image la forme sous laquelle il se représentait les noyaux. « Qu’on se figure par exemple, disait-il, un prisme droit à 16 pans dont chaque